Enfants, femmes enceintes, seniors: trois catégories quasi toujours exclues des essais cliniques, ceux-ci se déroulant sur des populations de gens adultes exempts de toute autre médication. La mesure sert à produire des données aussi indiscutables que possibles quant à l’efficacité du nouveau médicament sur des patients «standards». Or les trois groupes précités échappent à cette vision normalisée.
Les enfants parce que leur corpulence réduite imposerait de modifier les doses testées. Les femmes enceintes parce que leur fœtus pourrait être touché. Et les personnes âgées parce qu’il est fréquent qu’elles prennent déjà d’autres remèdes dont l’effet pourrait interférer avec la molécule évaluée. Devant des patients dont le profil de santé se calque peu sur celui des cobayes, l’application des recommandations de posologie est laissée à l’appréciation des médecins.
Faut-il imposer à l’industrie pharmaceutique, qui produit ces médicaments, de déterminer les doses pour une efficacité optimale chez tous les groupes de personnes? La question mérite d’être posée. Tout en se rappelant que faire tous les tests actuels pour mettre un médicament sur le marché coûte déjà 1 milliard de francs environ, selon les estimations de la branche. Des incitations aux pharmas existent toutefois en médecine pédiatrique, avec évidemment des retours avantageux sur investissements.
Depuis peu s’observe un mouvement de balancier pour que les études cliniques de médicaments ne soient plus l’apanage de ces seules firmes, mais reviennent aussi en mains académiques; le Fonds national suisse et l’Académie suisse des sciences médicales ont ainsi créé la Swiss Clinical Trial Organisation pour encourager un tel changement. Reste la question des besoins financiers colossaux.
A défaut, une autre voie est celle de la pharmacovigilance, dont l’objet est de suivre à long terme l’efficacité et les effets secondaires des médicaments. Il est d’abord crucial que ce champ d’activité, soumis à des pressions d’optimisation des coûts, puisse se prévaloir d’une totale indépendance d’expertise. L’avènement d’un outil pourrait ensuite lui faire changer d’ampleur: le dossier médical électronique du patient. Pour peu que les données que celui-ci inclura, notamment quant aux médicaments ingérés, soient formatées pour permettre (de manière anonymisée) le suivi de larges populations et ainsi de déceler, entre autres, tout effet collatéral des prescriptions médicales. Cela afin que les progrès pharmaceutiques atteignent aussi (surtout?) la cible qui en a le plus besoin: une population de plus en plus vieillissante.