Le directeur de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques a confirmé au «Temps» que la destruction des agents chimiques syriens en mer devait commencer sous peu. Les écologistes, inquiets, tirent la sonnette d’alarme
Fin octobre, l’arsenal chimique syrien a été placé sous scellés par les experts de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) et les sites de production déclarés inutilisables. Reste à le détruire, d’ici à fin 2014 désormais, le premier horizon de juin 2014 n’étant pas tenable selon les Etats-Unis et la Russie. Une étape finale loin d’être triviale, car technologique et complexe, qui plus est dans un pays en guerre. L’OIAC avait jusqu’à aujourd’hui pour adopter sa feuille de route visant à l’élimination de ces armes chimiques. Quelles sont les options possibles?
La première évaluation des inspecteurs de l’OIAC a consisté à déterminer sous quelles formes se trouvent ces armes, explique Stefan Mogl, chef de la section Chimie au laboratoire de Spiez. S’agit-il d’agents chimiques incorporés dans des bombes? Et celles-ci sont-elles équipées ou non d’un détonateur? «Si tel est le cas, il faudra d’abord extraire ces produits des réceptacles militaires, ce qui est un réel défi.» Sinon, les agents chimiques peuvent être stockés soit dans leur composition finale et prêts à l’emploi (sarin et gaz moutarde), soit sous la forme de leurs précurseurs: «C’est là l’avant-dernière étape de la préparation. Il ne resterait alors qu’à mélanger ces produits pour obtenir les gaz mortels.»
D’après les informations disponibles, l’arsenal syrien serait composé d’un gros millier de tonnes d’agents chimiques, dont 300 à 500 tonnes de deux précurseurs du gaz sarin (isopropanol et difluorure de méthylphosphonyle), des dizaines de tonnes de VX, dix fois plus létal que le sarin, ainsi que 50 tonnes de gaz moutarde.
Comment s’en débarrasser? Il existe deux techniques pour détruire ces agents chimiques, ou du moins les rendre inutilisables.
La première est l’incinération: «Il s’agit de sprayer ces produits dans des fours à 1400 °C pour les brûler», indique Stefan Mogl. Les fumées d’échappement sont filtrées. La technique n’est toutefois pas si simple: Ralf Trapp, ancien collaborateur de l’OIAC, explique dans la revue New Scientistque le difluorure de méthylphosphonyle ne peut être simplement brûlé, car il produit une substance (fluorure d’hydrogène) hautement corrosive: «Cela détruirait l’incinérateur.»
La deuxième méthode, dite de neutralisation par hydrolyse, permet de diminuer fortement la dangerosité des composés toxiques ou de leurs précurseurs en les neutralisant à l’aide d’une série de réactions chimiques. La méthode a été couramment utilisée par les Etats-Unis et la Russie pour la destruction de leurs propres stocks.
Pour le sarin et le gaz moutarde, le procédé consiste à les mélanger avec de l’eau, de la soude caustique (hydroxyde de sodium) ou de l’eau de Javel. La mixture est chauffée, permettant une réaction rapide avec l’eau. Ne restent au final que des produits de décomposition chimique non toxiques, en un volume 5 à 14 fois plus important qu’au départ, qui peuvent être traités comme des produits chimiques habituels. «L’hydrolyse est efficace, mais pas à 100%, car une réaction chimique n’est jamais complète», précise Stefan Mogl.
Quelle technique appliquer en Syrie, sachant que, selon la convention de 1993 sur l’interdiction des armes chimiques, la destruction des stocks doit en principe avoir lieu sur le territoire national? L’incinération in situ semble compliquée: il faudrait ériger rapidement d’immenses fours permanents dans un pays en guerre. Les précurseurs des gaz létaux pourraient, eux, être transportés hors de Syrie – une opération elle-même très risquée, mais qui devrait aboutir d’ici au 31 décembre, selon un document vu par l’agence Reuters – pour être détruits. Plusieurs pays ont été sollicités pour accomplir cette tâche (lire ci-contre).
De leur côté, les Etats-Unis ont annoncé il y a peu avoir mis au point un dispositif mobile pour réaliser la neutralisation par hydrolyse. L’appareil, appelé FHDS (pour Field Deployable Hydrolysis System), a été développé en six mois par le Edgewood Chemical Biological Center, un centre de recherche militaire américain. Cet équipement, transportable et pouvant être opérationnel 10 jours après son arrivée, pourrait traiter entre 5 et 25 tonnes de tous types d’agents toxiques par jour. Pour Ralf Trapp, cette solution est intéressante, mais pas sans contraintes: il faut quinze personnes pour opérer le système. Et beaucoup d’eau: «C’est un problème dans le désert», que ce soit en Syrie ou dans ses régions limitrophes.
Quant aux pièces d’armement évidées de tout agent toxique, elles doivent aussi être éliminées. «Elles peuvent l’être dans des chambres de combustion», précise Stefan Mogl. L’Allemagne et le Japon possèdent de tels systèmes, construits pour faire fondre les armes de la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, faire transiter ces morceaux de bombes par-delà les frontières syriennes n’est pas acquis légalement.
Une autre solution consisterait «à les faire exploser sur place, dans des chambres de métal renforcé, détaille l’expert suisse, puis de filtrer les gaz émis. Mais le processus est lent, peu de matériel pouvant être détruit à la fois.» Et procéder comme en Irak, dans les années 1990, en creusant d’immenses trous dans le sol et en y faisant exploser ces pièces d’armement? Selon le New Scientist,cette idée devrait être validée à l’aune de la Convention sur les armes chimiques. Stefan Mogl considère que cette option est irréaliste, notamment parce qu’elle ne répondrait pas aux normes environnementales.