Un biologiste de l’Université de Lausanne a falsifié des données publiées dans une revue spécialisée. Il était aussi chef scientifique de la start-up valaisanne Karmagenes, qui vend des tests génétiques controversés
Comme l’EPF de Zurich en 2015, l’Université de Lausanne (UNIL) connaît une fraude scientifique. Un biologiste a falsifié les données d’un article publié dans une revue spécialisée. Et cette annonce résonne en Valais aussi, puisque cette personne était jusqu’à mardi Chief Scientific Officer de l’entreprise Karmagenes, dont le siège est à Monthey, qui prétend disposer d’un test génétique permettant de déterminer des profils psychologiques; une capacité déjà fortement mise en doute au sein de la communauté scientifique.
L’affaire remonte à octobre 2016, mais elle a été révélée le 16 février par le site RetractionWatch.org, spécialisé dans la traque des études frauduleuses. «J’étais en train d’écrire un article, explique au Temps Sophie Martin, professeure associée au Département de microbiologie fondamentale de l’Université de Lausanne. Quelques éléments manquaient, j’ai voulu reproduire une expérience» du post-doctorant Pranav Ullal, publiée en 2015 dans le Journal of Cell Biology (JCB). Pour le quidam, impossible de repérer l’embrouille dans ces travaux de pointe, qui ont pour but d’étudier les cascades biochimiques en jeu lors des divisions cellulaires. Mais la cheffe de groupe remarque vite qu’«il y a un problème».
La plupart des données frauduleuses se retrouvaient sous forme de graphiques, poursuit-elle. Mais «comme elles étaient fabriquées de toutes pièces» et n’étaient pas le fait d’un copier-coller, «les analyses d’images du JCB ne pouvaient les détecter». Aussitôt, la professeure confronte son collaborateur, à maintes reprises. «Il finit par avouer, peu avant Noël.» Elle avertit la direction de l’Université, qui mène son enquête et conclut à la fraude. La biologiste de l’UNIL demande la rétraction de l’article entier, même «s’il n’est pas avéré que le fond des recherches soit entièrement faux». La revue s’exécute le 16 février 2017.
Test de personnalité
«Je ne comprends pas les motivations de mon ex-collègue, ditelle. Il ne passait pas pour quelqu’un qui voulait publier à tout prix pour viser une carrière.» Le Temps a sollicité l’avis de l’intéressé via les réseaux sociaux, sans succès. Il faut dire qu’il a quitté la Suisse en janvier. «Ce départ était prévu, car il arrivait en fin de contrat», dit Géraldine Falbriard, porte-parole de l’UNIL. Mais peutêtre Pranav Ullal aura-t-il fait un détour par le Valais avant de rejoindre l’Inde, où il se trouverait.
L’ancien post-doc de l’UNIL était en effet impliqué dans Karmagenes. Cette start-up avance avoir développé un test qui permettrait, à partir d’un échantillon de salive, de déterminer divers traits de caractère d’une personne (calme ou nerveuse, intro ou extravertie, spontanée ou réfléchie, etc.). Mais elle n’a ni publié le protocole scientifique de son test, ni déposé de brevet à son sujet. De quoi susciter des railleries de la part des généticiens, tel Alexandre Reymond. Le directeur du Centre intégratif de génomique à l’UNIL déclarait ainsi dans La Liberté que «même pour la taille d’une personne, qui se laisse facilement mesurer, nous avons du mal à identifier tous les gènes impliqués. Alors pour le comportement… Il n’y a pas plus de fondement scientifique à la démarche de Karmagenes qu’à l’astrologie.» Ce à quoi, dans ce même quotidien, le directeur de la start-up, Kyriakos Kokkoris, rétorquait que son équipe, dont faisait partie Pranav Ullal, «ne fait pas d’astrologie. Nous sommes une équipe de scientifiques hautement qualifiés en biologie moléculaire, génétique, bio-informatique et psychologie.»
Etudes retirées
Aujourd’hui, pour lui, la fraude de Pranav Ullal ne remet pas en question les activités de sa société: «Il n’y a aucun lien entre sa carrière scientifique ou sa méconduite académique récente et la technologie de Karmagenes, tient-il à clarifier dans un courriel au Temps. Les décisions scientifiques sont prises par un team scientifique dans son entier, pas par des individus.» Et le directeur de la start-up de préciser: «Au vu des récents développements, notre directoire a décidé que M. Ullal n’est plus associé professionnellement à Karmagenes.» Kyriakos Kokkoris déclare aussi ignorer le fait que Pranav Ullal aurait déjà fraudé durant son doctorat réalisé en Grande-Bretagne, ainsi que le mentionne Sophie Martin sur Twitter.
Quel impact aura cette histoire pour l’image de l’UNIL? «Dans les faits, et alors que la responsable de laboratoire a en tout point agi comme il se devait, cela montre que le système scientifique fonctionne», résume Géraldine Falbriard. Il faut dire que, selon Ivan Oranski, cofondateur du site RetractionWatch.org, quelque 600 à 700 études font effectivement l’objet d’une rétraction chaque année. Néanmoins, l’expert estimait l’an dernier dans Le Temps que «dix fois plus d’études devraient être retirées, tant [l’ampleur du problème] reste très difficile à évaluer».