LE TEMPS || En 2010, les cinq derniers vols de navettes spatiales – le premier prévu ce dimanche a été repoussé de 24 heures – doivent permettre d’achever la Station spatiale internationale, l’ISS. A quoi a déjà servi, et à quoi servira ce complexe à 100 milliards de dollars? Bilan prospectif
C’est l’heure des finitions sur la Station spatiale internationale (ISS). Encore cinq vols de navettes, en 2010, et l’immense complexe devrait être achevé, en septembre. Le premier devait avoir lieu dimanche. A 10h39 GMT, Endeavour devait décoller de Floride avec les deux derniers éléments de construction fournis par l’Agence spatiale européenne (ESA), dont fait partie la Suisse. L’ISS sera alors achevée à 90%. Les astronautes verront leur confort s’améliorer.
Le lancement a toutefois été reporté de 24 heures en raison de la météo. «Nous avons essayé vraiment au maximum mais les conditions météo étaient trop instables et nous n’étions tout simplement pas l’aise pour lancer la navette cette nuit», a déclaré Mike Leinbach.
La navette emporte dans sa soute Tranquility (ou Node3). Il s’agit d’un module, semblable à deux autres sur l’ISS, sorte de cylindre de 4,5 m de diamètre pour 7 de long, qui deviendra le centre névralgique du recyclage sur la station. Ses systèmes récupéreront les eaux usées (urines) et les purifieront afin de produire un liquide potable. A partir de cette eau, des appareils vont aussi générer l’oxygène nécessaire à la respiration de l’équipage, élargi à six depuis 2009. De plus, des filtres auront pour fonction de décontaminer l’atmosphère de l’habitacle.
Les astronautes vont ensuite déployer dans ce module certains de leurs équipements scientifiques ainsi que leur matériel d’exercice physique (tapis roulant). Surtout, ce nouveau lieu de vie se muera en «balcon de l’ISS»: c’est là que sera installée, lors de cette mission, la Coupole, orientée vers la Terre et dotée de sept larges fenêtres. «Cet élément est psychologiquement important pour les astronautes, car avant, ils ne pouvaient observer l’extérieur qu’à travers de petits hublots», justifie la NASA. La Coupole servira aussi de cabine de pilotage pour des expériences robotisées.
La Station deviendra ainsi presque totalement opérationnelle sur le plan scientifique. Avec six ans de retard – son achèvement était prévu à 2004. Mais l’explosion de la navette Columbia en 2003 a fait glisser l’agenda, à tel point que l’ISS a dû être redimensionnée, la NASA et le président Bush ayant décidé de limiter le nombre restant de vols de navettes, seuls «cargos de l’espace» aptes à acheminer les gros éléments nécessaires à la construction.
Ces retards, doublés des atermoiements américains quant à la durée de vie de l’ISS, fixée d’abord à 2015, ont fait dire à nombre d’observateurs que «cet éléphant blanc» à 100 milliards de dollars n’allait pas être à la hauteur des avancées scientifiques promises. Les mêmes gens admettent aujourd’hui que tout peut changer (lire ci-dessous).
Lundi dernier, le président Barack Obama a indiqué que l’ISS serait maintenue jusqu’en 2020 au moins, voire encore développée. «C’est bien sûr une excellente nouvelle, dit Jean-Jacques Dordain, directeur général de l’ESA. Car nous ne pouvions pas baser l’exploration future sur un échec de l’ISS.»
Pour Roger-Maurice Bonnet, président du Comité mondial de la recherche spatiale, «les partenaires étaient très inquiets qu’on arrête trop tôt l’ISS [en 2015], ils avaient peur qu’on les critique pour leurs très gros investissements qui n’auraient pas été rentables». La référence est faite au laboratoire spatial européen Columbus, enfin lancé en février 2008, et devisé à 970 millions d’euros. Jean-Jacques Dordain: «Ces dix ans d’existence à venir pour l’ISS encouragent maintenant les chercheurs à s’investir pour préparer des projets», ce qui était quasi impossible si la station avait fermé ses sas en 2015.
A l’EPF de Zurich justement, on se réjouit aussi de cette décision. Car c’est au centre Biotesc que sont validées toutes les recherches de biologie européennes menées à bord de l’ISS. «Nous en dirigeons nous-mêmes certaines», explique Isabelle Walther, chercheuse au groupe de biologie spatiale de la haute école. En immunologie: «Nous voulons voir comment les cellules du système immunitaire humain fonctionnent en apesanteur»; en biotechnologie: «Nous développons des bioréacteurs à cellules, avec l’idée à terme de produire de la nourriture (champignons, algues)»; et en physiologie: «Nous étudions comment les cellules musculaires répondent aux stimuli dans l’espace.»
Quel bilan scientifique tire la chercheuse de l’activité de l’ISS? «Il faut savoir que le fait de ne pas pouvoir répéter à l’envi nos expériences, vu les contingences de l’ISS, est un facteur handicapant. J’accepte donc la critique que les résultats ne sont pas encore aussi déterminants qu’imaginé au début. Mais notre démarche est liée à la quête de savoirs. Si ces recherches n’apportent pas forcément des retombées concrètes aujourd’hui, elles le feront dans les prochaines décennies.»
La NASA, elle, est un peu moins mesurée. En septembre, l’agence publiait un rapport décrivant 100 avancées réalisées à bord de l’ISS. Celles-ci vont de l’étude de la décalcification des os (qui perdent jusqu’à 2% de leur masse par mois) à la science des matériaux et l’étude des impacts des radiations cosmiques sur l’environnement de l’ISS et le corps humain, points cruciaux dans l’optique des futurs longs périples spatiaux. En passant aussi par des travaux en médecine (une méthode est testée sur l’ISS, qui vise à délivrer très précisément des médicaments dans le corps à l’aide de microcapsules) ou en nutrition: «L’un des résultats les plus fascinants, selon le rapport, est la démonstration que la virulence de certains germes, telle la bactérie Salmonella typhirium, est exacerbée dans l’espace, ce qui contamine la nourriture.» Et les cosmologistes y trouveront aussi leur compte, avec l’installation d’un traqueur d’antimatière spatial.
Du côté de l’ESA, on réfléchit à élargir l’utilisation de ce laboratoire spatial. L’an dernier, l’agence a lancé un appel à idées pour mener des recherches sur les changements climatiques depuis l’espace. L’intérêt, spécifique à l’ISS? Obtenir une vue d’ensemble du «système Terre» (atmosphère, océans, forêts, etc.) tout en étant proche de lui. «Nous avons reçu 45 propositions, qui sont actuellement évaluées», confie Jean-Jacques Dordain. «Ça, c’est intelligent!, dit Roger-Maurice Bonnet. L’ISS n’a pas été pensée pour cela? On dispose là d’un poste d’observation unique qui peut aider à trouver des réponses aux questions sur le climat.»
Enfin, pour l’expert, une autre utilité possible de l’ISS a jusque-là été sous-exploitée: «La station offre des capacités éducatives uniques. A bord de l’ISS, la science est spectaculaire pour le public, et surtout les jeunes, futurs scientifiques et ingénieurs. Qui plus est, c’est un outil très médiatique. Il faut en profiter.»
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