Le satellite GOCE mesurera avec précision le champ de gravité terrestre, élément crucial dans les études d’océanographie, de climatologie ou de géophysique. Gros plan sur un engin qui modifiera la vision que les scientifiques ont de la Terre.
Une pomme qui lui tombe sur la tête. Selon la légende, c’est cet épisode qui aurait conduit Isaac Newton, en 1687, à déduire ses lois de la gravitation. Durant ses leçons de physique, chaque écolier apprend ainsi que tout corps choyant en direction du sol subit une accélération gravitationnelle appelée «g», qui vaut 9,81 m/s2. Cette valeur serait constante partout sur la Terre si celle-ci était une sphère parfaite. Or, à cause de sa rotation sur elle-même, notre planète ressemble plutôt à un ellipsoïde, ses pôles étant 21 km plus proches de son centre que l’équateur. Pire, les chaînes de montagnes et les abysses lui donnent carrément l’apparence d’un patatoïde. Sans parler de l’hétérogène distribution de la masse rocheuse dans ses entrailles. Si bien que le fameux «g» varie suivant l’endroit où l’on se trouve.
Grâce au satellite GOCE, les scientifiques de l’Agence spatiale européenne (ESA), dont la Suisse est membre, pourront bientôt établir une cartographie très détaillée du champ de gravité terrestre et de ses variations locales. La mise au point de l’appareil s’achève ces jours dans les «chambres blanches» de l’entreprise ThalesAleniaSpace, à Turin, où il a été présenté à la presse le 19 juillet. Grâce à cet outil, l’un des plus complexes jamais construits, les chercheurs espèrent faire des avancées déterminantes en océanographie, en climatologie, en géodésie ou en géophysique.
• Créer le géoïde
Le satellite a tout d’un engin d’espionnage, avec ses ailes sombres et ses menus ailerons. Qui sont en fait ses panneaux solaires: comme GOCE orbitera autour de la Terre à 250 km d’altitude seulement, où existe une atmosphère résiduelle, impossible de les déployer latéralement comme chez les autres satellites, car la résistance aérodynamique causerait un freinage marqué.
Sa mission: déterminer ce que les scientifiques appellent le géoïde. «Il s’agit de la surface virtuelle hypothétique de tous les points où la Terre exercerait la même force de gravité qu’au niveau moyen des océans», explique Danilo Muzi, chef du projet à l’ESA. Cette surface s’éloigne du sol réel au-dessus des zones où la densité de matière (roches, glaces, etc.) est grande, et donc où la gravité réelle est plus importante. En tenant compte des montagnes, ou des enfoncements de la croûte terrestre, ce géoïde prend ainsi l’aspect d’une Terre bosselée. Et Danilo Muzi d’imager encore: «Vu que la gravité est identique en tout point, une balle placée sur cette surface ne bougerait pas, même si l’on y voit des collines et des creux.» Un tel géoïde a déjà été esquissé par deux autres missions (CHAMP et GRACE). «Mais nous obtiendrons une précision inégalée. De l’ordre du centimètre sur une résolution géographique de 100 km. C’est crucial pour nombre d’applications.»
• Applications variées
La première est l’étude de la circulation océanique. «Avec les altimètres actuels embarqués à bord d’autres satellites, on mesure déjà précisément la surface des océans. Or les courants sont associés aux variations de niveau des eaux. Mais pour décrire ces courants très finement – avec une précision de vitesse de 10 cm/s –, il faut comparer ces niveaux à une valeur de référence. Cette valeur, ce sera le géoïde», explique Mark Drinkwater, scientifique à l’ESA. Ces travaux permettront aussi d’étudier les transports de chaleur dans l’océan, comme dans le Gulf Stream, ou de quantifier l’apport d’eau de fonte des banquises, et par là livreront des données précieuses aux climatologues.
De même, ce géoïde constituera un système de référence topographique unique à l’échelle planétaire pour toute mesure d’altimétrie, «comme celle du niveau de la mer, avec une précision d’un millimètre. Ce qui sera très utile à ceux qui doivent gérer crues et inondations, détaille Mark Drinkwater. Le géoïde démontrera aussi son intérêt lors de la construction d’un tunnel entre deux pays qui, avec le système actuel, peuvent avoir des références d’altitudes inégales.»
Autre domaine qui bénéficiera de GOCE: la géophysique. «Les mouvements tectoniques de la croûte et de convection dans le manteau terrestre dépendent de la densité des roches qui, elle, influence localement la gravité. Repérer les anomalies gravitationnelles permettra d’étudier la structure interne de la Terre, et par là les séismes ou les éruptions volcaniques. Et pourquoi pas de fournir des prévisions plus précises de ces phénomènes.»
• Instrument d’exception
Pour mesurer «g» et élaborer ce géoïde avec une précision inédite depuis l’espace, les scientifiques ont dû imaginer un dispositif avant-gardiste: un gradiomètre (lire ci-contre). Cet instrument ultrasensibles est toutefois si capricieux qu’il ne livrera les données escomptées que si le satellite progresse de manière absolument régulière. Ce qui n’est de loin pas une sinécure dans cette très fine mais perceptible atmosphère. Pour compenser les minuscules frottements dans l’air induisant autant de changements de vitesse non désirés, les ingénieurs ont équipé l’engin d’un «compensateur de traînée en continu», capable de lui insuffler d’infinitésimales poussées si besoin.
«Ces poussées correspondent au minime coup de gaz que devrait donner un automobiliste roulant à 160 km/h lorsqu’une mouche s’écrase sur son pare-brise et le freine imperceptiblement. A bord de GOCE, c’est un moteur ionique révolutionnaire, fonctionnant au xénon, qui jouera ce rôle confinant à l’exploit», dit Rune Floberghagen, autre responsable du projet.
Enfin, pour corser les choses, la température intérieure devra être maintenue à 25°C, «à un dixième de millième de degré près, sous peine réduire notablement les performances», ajoute le scientifique. Quant à l’électronique de contrôle, produite par la firme bernoise Syderal, elle ne devra souffrir d’aucun défaut durant les 20 mois d’exploitation du satellite.
Bref, voilà autant de défis techniques inédits qui s’ajoutent à une autre première: GOCE doit lancer pour de bon la série des missions «Earth Explorer», avec lesquelles l’ESA souhaite détailler significativement nos connaissances de la planète bleue; le premier chapitre de ce programme devait être écrit par Croysat en 2005, mais ce satellite s’est désintégré au décollage.
Avant de partir vers les étoiles, ce joyau de technologie à 200 millions d’euros passera d’abord sur le banc de torture du centre d’essais de Noordwjik (Pays-Bas). Histoire de montrer qu’en mars 2008, il ne va pas souffrir du décollage à bord du lanceur Rockot depuis la base reculée de Plesetsk, en Russie. Et bien sûr qu’il restera à même de mesurer la gravité