Parallèlement à un nouveau tour du monde par les océans, la Fondation Race for Water va tester à Gland une technologie inédite permettant de transformer des déchets en gaz, puis en électricité
Transformer les déchets plastiques directement en des gaz qui, par combustion, produisent de l’électricité. Telle est la solution de la Fondation Race for Water pour contrer une plaie environnementale connue: la pollution des océans par des débris de produits et emballages fabriqués à base d’hydrocarbures. Une technologie novatrice qui doit être testée à Gland dès le mois d’août, «avant d’être implémentée à l’île de Pâques, en Malaisie et au Pérou», a annoncé mardi à Paris Marco Simeoni, président de la fondation.
Créée en 2010, cette organisation a sillonné les océans en 2015, lors de la Race for Water Odyssey, pour cartographier l’ampleur de cette pollution. Le rapport de cette expédition a été présenté mardi, et le constat est effarant: «Sur la trentaine de sites côtiers visités, tous contenaient des débris échoués, souvent en quantité», a résumé Fred Sciacca, responsable scientifique. Entre avril 2017 et 2020, la fondation repart autour du globe, à bord cette fois du catamaran solaire jadis nommé Planet Solar. Un navire retapé et équipé en sus de piles à hydrogène ainsi que d’une voile (kite) de traction, tout cela afin d’augmenter son autonomie. Deux projets scientifiques vont étudier en détail les impacts des microplastiques sur les écosystèmes marins.
A la source du problème
Mais les chercheurs vont laisser ces derniers dans les mers. «Les en extraire est irréaliste et économiquement non viable», dit Marco Simeoni. Selon lui, il faut cibler le problème à la source, et collecter ces objets plastiques avant qu’ils n’atteignent rivières et côtes. «Or, dans les pays en développement, les collecteurs de rue, qui ramassent divers déchets pour les recycler, délaissent le plastique, qui ne peut être valorisé. Nous voulons changer cela.» Comment? En installant des infrastructures tirant profit d’une technologie connue, la pyrolyse. Mais cette fois avec une modification annoncée comme novatrice.
La démarche consiste à chauffer à 850°C, en l’absence d’oxygène, des déchets plastiques. S’en dégage un mélange de gaz (pour deux tiers de l’hydrogène, et un peu de méthane) qui peut faire tourner une génératrice à combustion. «ETIA, la société française avec qui nous travaillons, a fait évoluer cette technologie d’une part avec une spirale interne (appelée Spirajoule) qui broie les déchets et maximise la proportion de gaz synthétique», décrit Marco Simeoni. D’autre part, un élément inédit a été ajouté à la machine: il sert, explique Fred Sciacca, «à dissocier les huiles restantes, à séparer les gaz, et à récupérer l’hydrogène», qui peut alors être stocké et utilisé dans des piles à combustible. Autre avantage de cette technologie? Elle autorise l’utilisation de déchets souillés, ce qui n’est pas le cas avec des dispositifs de pyrolyse simple. Quant aux émissions de CO2, elles seraient moindres qu’en brûlant simplement ces détritus.
«Une telle installation n’a jamais été utilisée en milieu industriel. Nous la testerons sur un site pilote à Gland, dès août, et durant six mois», affirme Marco Simeoni. La machine en question est, chez ETIA, l’entrée d’une gamme qui compte quatre modèles: d’un coût de 2,5 millions d’euros, elle peut engloutir 5 tonnes de déchets par jour, et fonctionner 24h/24. «Idéal pour être installée sur une île», dit Marco Simeoni. Une autre version, plus volumineuse, et digérant jusqu’à 12 t/jour, serait appropriée pour les villes côtières. «Construire plus grand est possible, mais l’ensemble n’est alors plus mobile. Or les deux premiers modèles sont transportables par container.»
En une année, 2800 MWh générés
A Gland, le courant produit sera injecté dans le réseau grâce à Romande Energie. En une année, 2800 MWh devraient être générés, de quoi alimenter 1300 maisons non chauffées à l’électricité. Marco Simeoni planifie toutefois de n’en toucher que 3 à 4 centimes par kWh, tant ce test doit d’abord valider un procédé.
Professeur d’écologie industrielle à l’Université de Lausanne, Suren Erkman connaît bien Race for Water, à qui il a distillé ses conseils. Sans connaître dans ses détails la nouvelle machine d’ETIA, il émet une réserve générale: «Cela fait des années que la pyrolyse, sous diverses variantes, est présentée comme une solution miracle. Mais je n’ai jamais pu consulter de rapports techniques de fonctionnement de ces machines. Il faut aussi questionner la viabilité du processus, tant ces technologies coûtent cher; les installer dans des pays lointains ou des îles me semble compliqué. Et il s’agirait de mener une analyse sérieuse du «métabolisme» complet (stocks et flux) des matières plastiques à l’échelle mondiale; une telle étude manque.»
Marco Simeoni indique avoir pris deux ans pour examiner la machine pilote d’ETIA, et envisage justement d’utiliser cette période de six mois pour «évaluer ses impacts environnement, avec l’aide du Paul Scherrer Institut de Villigen, et étudier le bilan énergétique et financier». Si le projet tient la route, la suite est claire: acheminer trois containers-à-pyrolyse, en Amérique du Sud et en Asie, avec ensuite l’embauche possible de milliers de collecteurs de rue. Et l’homme de revenir à son inquiétude de base: «Si rien n’est fait, d’ici à 2050, il y aura dans les océans autant de kilos de plastique que de poisson.»