Deux accidents – ceux de Virgin Galactic et d’Orbital Sciences – ont récemment terni l’image du tourisme spatial, et plus généralement des projets d’accès privés à l’espace. Un organe faîtier regroupe toutes ces activités: la Commercial Spaceflight Federation. Son président depuis septembre, Eric Stallmer, répond au «Temps»
Centre spatial de Wallops, côte de Virginie (est des Etats-Unis), 28 octobre: le lanceur non habité Antares de la société américaine Orbital Sciences, qui devait aller ravitailler la Station spatiale internationale (ISS), explose au décollage. Base spatiale de Mojave, dans le désert américain éponyme, 31 octobre: peu après avoir été largué de l’aile porteuse WhiteKnightTwo pour filer vers le ciel, l’avion-fusée SpaceShipTwo (SS2) de la firme Virgin Galactic souffre d’une grave anomalie et s’écrase, tuant l’un des deux pilotes. Deux accidents portant de sérieux coups au secteur en plein essor de l’accès privé à l’espace, qui inclut autant les lanceurs à destination de l’orbite basse que les véhicules développés pour le tourisme spatial. Un organe faîtier pour toutes ces activités regroupe tous les acteurs du domaine: la Commercial Spaceflight Federation. Son président depuis septembre, Eric Stallmer, apporte son anaylse.
Le Temps: Peut-on simplement dire, comme entendu, que les accidents de ce genre sont inévitables lorsque l’on construit un vaisseau spatial inédit?
Eric Stallmer: Oui. Ce genre d’incident va tôt ou tard se passer dans ces phases de test, et l’on espère toujours qu’il n’y aura pas de conséquences tragiques. Le but est de minimiser les risques, mais ils sont toujours présents avec un véhicule expérimental.
– Tout de même: dans le cas de Virgin Galactic, c’est la première fois que les carburants utilisés (des billes de polyamides, censées être plus fiable que le caoutchouc synthétique utilisé jusque-là) étaient testés lors d’un vol. Celui-ci n’aurait-il pas dû se faire sans pilote?
– Ce carburant avait été testé au sol. L’enquête du Comité national de sureté du transport américain (NSTB) a montré que le moteur semblait ne pas être en cause dans l’accident. Les experts sont plutôt sur la piste d’une erreur des pilotes. La raison de leur présence à bord est que ces vols seront habités, avec des passagers. De plus, certaines manoeuvres de l’avion ne pouvaient être testé automatiquement.
– L’auteur d’une biographie sur Richard Branson, le riche patron de Virgin Galactic, a dit que plusieurs ingénieurs avaient quitté la société tant ils jugeaient les mesures de sécurité defficientes…
– J’ai travaillé avec les gens de Virgin Galactic, je peux vous assurer que leur souci premier est la sécurité, avec comme but de faire de ces vols spatiaux l’expérience la plus sûre possible. Je ne veux pas commenter ce que disent les observateurs externes.
– Il reste que l’image de ce secteur de l’accès privé à l’espace, après ces deux accidents, est ternie. Que faire pour en changer?
– Je ne dirais pas que l’impact sur le grand public est immense. Les personnes qui suivent ces programmes de près, qui souhaitent participer, veulent des véhicules les plus fiables. Ils savent que ces technologies expérimentales doivent être testées, et comprennent les risques impliqués. Il y a toujours beaucoup d’intérêt pour ce que font les sociétés de ce secteur, une folle envie auprès du public pour aller dans l’espace. Je ne pense pas que ces accidents constituent un coup d’arrêt pour le secteur, mais c’est un revers.
– Combien de temps faudra-t-il avant d’assister au premier vol d’un vaisseau de tourisme spatial?
– Une autre société, XCOR [qui développe un avion-fusée pour un passager en plus du pilote, ndlr], va voler lorsqu’elle sera prête; cet événement pourrai survenir d’ici une année. Concernant Virgin Galactic, ils ont construit à 65% leur deuxième modèle de SS2. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour l’achever et le tester. Ce n’est pas le temps qui guide leur action, mais la nécessité d’avoir une technologie sûre.
– Virgin Galactic et XCOR sont des sociétés privées, qui doivent sans cesse chercher des investissements, quitte à faire beaucoup de promesses. Se peut-il qu’elles prennent des risques inconsidérés pour tenter de les satisfaire?
– Je ne pense pas. Cela dit, faire accéder des humains à l’espace est risqué. Leur modèle d’affaire est très clair et a été présenté à ceux qui ont déjà signé pour un vol, voire versé un accompte. Accepter de prendre ces risques ne veut pas dire que toutes les mesures de sécurité auxquelles on peut penser seront négligées. Autrement dit: sans un véhicule spatial sûr, vous avez un business plan très faible… Et les responsables de ces compagnies le savent.
– Ces sociétés sont portées à bout de bras par de richissimes individus, tel Richard Branson pour Virgin. Les observateurs avancent que ce secteur manquent sérieusement d’investisseurs…
– Nous avons de la chance que ces gens visionnaires veulent investir une partie de leur argent pour que d’autres puissent aussi réaliser leur rêve d’espace. Et qu’ils n’attendent pas que les gouvernements fasse ce pas. Ces réflexions me laissent confus…
– Le marché du tourisme spatial est-il assez vaste au point de justifier tous ces développements?
– Absolument. Plus de 800 personnes ont déjà réservé leur place sur un vol de Virgin Galactic, et quasi autant chez XCOR. Pour le grand public, le prix du billet [environ 250000 francs, ndlr] peut semble élevé, mais d’autres gens peuvent se le permettre. Le premiers participants vont ensuite clairement faire baisser les coûts, comme cela a été le cas pour tout nouvel objet technologique, telles les TV à plasma.
– Le secteur du tourisme spatial semble peiner à vraiment décoller. Que manque-t-il?
– Je ne pense pas qu’il manque quoi que ce soit. Le succès des premiers vols va faire exploser le niveau d’excitation. Dès que des passagers parleront de leur expérience, l’intérêt sera fantastique. L’homme a toujours été poussé pour sa curiosité de l’inconnu.
– Dans le domaine qui est celui de louer des services aux agences spatiales gouvernementales pour accéder à l’orbite basse, il y a une compétition pour proposer les prix les plus bas. Orbital Science, en concurrence avec SpaceX, en a-t-elle payé le prix par son accident? Cette rivalité induit-elle une prise de risque plus grande?
– Il y a eu une compétition entre SpaceX et Orbital Sciences pour remporter les contrats de la Nasa. Mais au final, les deux sociétés ont obtenu des vols vers l’ISS, la seconde proposant même un prix plus élevé que la première. Désormais, la compétition, Orbital la vit avec… elle-même. Dans le monde de la cuisine, on dit qu’«un restaurant n’est jugé que sur le dernier repas qu’on y prend»…. Le bilan d’Orbital devra parler pour elle lorsqu’elle se battra pour de futurs contrats futurs. Certes, l’explosion de la fusée Antares a offert un événement très visuel. Mais il faut savoir que le secteur des lancements spatiaux, gouvernementaux ou privés, est robuste et bénéfice d’un haut taux de succès.
– La privatisation de ce secteur n’a aucun impact sur son développement et sa sécurité?
– Non. Historiquement, ce sont toujours des sociétés privées qui ont construit les lanceurs pour les gouvernements. C’est aujourd’hui uniquement la manière de contracter qui a changé.