Deux accidents en quatre jours: l’image des projets d’accès privé à l’espace semble ternie. L’analyse du président de la Commercial Spaceflight Federation
Les 28 et 31 octobre, deux accidents ont porté de sérieux coups au secteur en plein essor de l’accès privé à l’espace. D’abord l’explosion au décollage du lanceur Antares de d’Orbital Sciences, qui allait ravitailler la Station spatiale internationale (ISS). Puis la défaillance de l’avion SpaceShipTwo (SS2) de la firme Virgin Galactic, qui a tué l’un des deux pilotes.
Un organe faîtier regroupe tous les acteurs du spatial privé: la Commercial Spaceflight Federation, à Washington. Son président, Eric Stallmer, répond au Temps.
Le Temps: Peut-on simplement dire, comme on l’a lu, que ce type d’accident est inévitable lorsque l’on construit un vaisseau spatial inédit?
Eric Stallmer:Oui. Ce genre d’incident va tôt ou tard se passer dans ces phases de test. Bien sûr, l’on espère toujours qu’il n’y aura pas de conséquences tragiques.
– Dans le cas de Virgin Galactic, c’est la première fois que les carburants utilisés étaient testés en vol. Aurait-on dû le faire sans pilote?
– Ce carburant avait été testé au sol. L’enquête du Comité national de sûreté du transport américain (NSTB) a montré que le moteur semblait ne pas être en cause dans l’accident. Les experts sont plutôt sur la piste d’une erreur des pilotes. Par ailleurs, certaines manœuvres de l’avion ne pouvaient être testées de manière automatique.
– L’auteur d’un livre sur Richard Branson, le patron de Virgin Galactic, a dit que des ingénieurs avaient quitté la société tant ils jugeaient les mesures de sécurité déficientes…
– J’ai travaillé avec les gens de Virgin Galactic, je peux vous assurer que leur souci premier est la sécurité, avec comme but de faire de ces vols spatiaux l’expérience la plus sûre possible. Je ne veux pas commenter les mots d’observateurs externes.
– Il reste que l’image de ce secteur de l’accès privé à l’espace, après ces deux accidents, est ternie…
– Je ne dirais pas que l’impact sur le grand public est immense. Les personnes qui suivent ces programmes, qui souhaitent participer, veulent les véhicules les plus fiables. Ils savent que ces technologies expérimentales doivent être testées, et comprennent les risques. Il y a toujours une folle envie auprès du public pour aller dans l’espace. Je ne pense pas que ces accidents constituent un coup d’arrêt, mais c’est un revers.
– Combien de temps faudra-t-il avant d’assister au premier vol d’un vaisseau de tourisme spatial?
– Une autre société, XCOR [qui développe un avion fusée pour un passager en plus du pilote], pourrait d’ici à une année. Concernant Virgin Galactic, ils ont construit à 65% leur deuxième modèle de SS2. Je ne sais pas combien de temps il faudra pour l’achever et le tester. Ce n’est pas le temps qui guide leur action, mais la nécessité d’avoir une technologie sûre.
– Virgin Galactic et XCOR sont des sociétés privées, qui doivent sans cesse chercher des investissements, quitte à faire des promesses. Prennent-elles des risques inconsidérés pour tenter de les satisfaire?
– Je ne pense pas. Cela dit, faire accéder des humains à l’espace est risqué. Leur modèle d’affaire est très clair et a été présenté à ceux qui ont déjà signé pour un vol, voire versé un acompte. Accepter de prendre ces risques ne veut pas dire que toutes les mesures de sécurité auxquelles on peut penser seront négligées. Sans un véhicule spatial sûr, vous avez un business plan très faible… Et les responsables de ces sociétés le savent.
– Celles-ci sont portées à bout de bras par de richissimes individus. D’aucuns avancent que ce secteur manque d’investisseurs sérieux.
– Nous avons de la chance que ces visionnaires investissent une partie de leur argent pour que d’autres puissent aussi réaliser leur rêve d’espace. Et qu’ils n’attendent pas que les gouvernements fassent ce pas. Ces réflexions me laissent confus.
– Le marché du tourisme spatial est-il assez vaste au point de justifier tous ces développements?
– Absolument. Plus de 800 personnes ont déjà réservé leur place chez Virgin Galactic, et quasi autant chez XCOR. Pour le public, le prix du billet [250 000 francs] peut sembler élevé, mais d’autres gens peuvent se le permettre. Les premiers participants vont clairement faire baisser les coûts, comme cela a été le cas pour tout nouvel objet technologique, telles les TV plasma.
– Le secteur du tourisme spatial semble peiner à vraiment décoller. Que manque-t-il?
– Je ne pense pas qu’il manque quoi que ce soit. Le succès des premiers vols va faire exploser le niveau d’excitation. Dès que des passagers parleront de leur expérience, l’intérêt sera fantastique. L’homme a toujours été poussé pour sa curiosité de l’inconnu.
– Dans le domaine des services alloués aux agences spatiales gouvernementales pour accéder à l’orbite basse, où se trouve l’ISS, il y a une compétition pour proposer les prix les plus bas. Orbital Science, en concurrence avec SpaceX, en a-t-elle payé le prix par son accident? Cette rivalité induit-elle une prise de risque plus grande?
– Il y a eu une compétition entre SpaceX et Orbital Sciences pour les contrats de la NASA. Mais au final, les deux sociétés ont obtenu des vols vers l’ISS, Orbital proposant même un prix plus élevé que SpaceX. Désormais, la compétition, Orbital la vit avec… elle-même. Ne dit-on pas qu’«un restaurant n’est jugé que sur le dernier repas qu’on y prend»… Le bilan d’Orbital devra parler pour elle lorsqu’elle se battra pour de futurs contrats. Certes, l’explosion de la fusée Antares a offert un événement très visuel. Mais il faut savoir que le secteur des lancements spatiaux, étatiques ou privés, est robuste et bénéfice d’un haut taux de succès.