L’avion solaire suisse, parti du Japon dimanche dernier et piloté par l’ingénieur et entrepreneur vaudois, s’est posé vendredi à 17h55 (heure suisse) près d’Honolulu, après avoir volé pendant presque cinq jours et cinq nuits au-dessus de l’océan Pacifique. Quelque 118 heures de vol qui entrent dans la légende de l’aéronautique. «Un fantastique exploit humain», disent en chœur les experts de l’aviation
Parti en catimini du Japon le 28 juin, l’avion solaire Solar Impulse 2 (Si2) a atterri sous les hourras ce vendredi 3 juillet à 17h55 (heures suisses) sur l’aéroport Kalaeloa, à 30 km d’Honolulu, à Hawaii. Et si son pilote André Borschberg est entré dans la légende de l’aviation en le posant là, c’est un peu – comme il ne l’a cessé de le rappeler – grâce à son yogi, Sanjeev Bhanot. Celui qui le suit depuis une décennie l’a mis en condition pour lui permettre de réaliser l’un des plus grands exploits aéronautiques: voler durant près de cinq jours et cinq nuits sans escale ni autre carburant que les rayons du Soleil, au-dessus d’un environnement parmi les plus hostiles, l’océan Pacifique. «Je tire ma force mentale et ma résistance de la méditation et du yoga», a souvent confié aux médias durant le vol le directeur du projet et ingénieur en chef de l’aéroplane.
Environ une heure après l’arrivée, alors que le Si2 était stationné depuis déjà longtemps près de son hangar, le pilote, le cou ceint par un collier de fleurs, était encore assis dans le cockpit, à se faire masser les jambes par un physiothérapeute. André Borschberg n’a en effet pu que peu bouger ses membres inférieurs durant la semaine, devant même prendre des médicaments pour éviter toute thrombose et lutter contre l’apparition de crampes. «Mais le champagne est très bon pour les effacer et faire remonter la pression sanguine», rigolait Jean-Pierre Boss, le médecin de l’équipe, alors que le pilote aspergeait la foule.
Vite accaparés par les médias sur le tarmac, André Borschberg et Bertrand Piccard, interrogés sur les difficultés de l’aventure et sur la possibilité d’un vol perpétuel, ont répondu que «le seul facteur l’empêchant est désormais le pilote». Avant d’insister – invariablement, et parce que c’est aussi la raison d’être de ce projet – sur ce qu’il est possible de réaliser avec les énergies renouvelables: «Si l’on peut faire voler un avion avec des cellules solaires, cela prouve que cette technologie peut être appliquée partout sur la planète, et que rien n’est plus impossible avec elle.»
Parmi les experts de l’aviation, tous reconnaissent avant tout «le fantastique exploit humain», résume Pierre Condom, directeur de la revue Interavia. «Au-delà de la réussite technique de l’avion, c’est une performance physique et mentale extraordinaire et historique, ajoute Olivier de Sybourg, chef du domaine de l’aviation au Service d’enquête suisse sur les accidents d’avion (SESA). C’est de très bon augure pour l’accomplissement du tour monde» entamé le 9 mars à Abu Dhabi.
Le périple transpacifique qui s’est achevé vendredi à Hawaii, et qui a permis à André Borschberg de battre le record du plus long vol en solitaire sans ravitaillement avec 117 heures et 51 minutes passées en l’air, n’était en effet qu’une étape d’un chapelet de treize autour du globe. Celle-ci a commencé discrètement dimanche dernier à Nagoya, où l’avion solaire avait été contraint de se poser il y a un petit mois alors en provenance Chine, les conditions météorologiques s’étant fortement dégradées au point d’empêcher la grande traversée. Au Japon, une première tentative de nouvel envol avait été annoncée aux médias le 23 juin, avant d’être annulée à la dernière minute, forçant André Borschberg à ronger encore son frein, et décrochant des larmes de déception à Bertrand Piccard, l’initiateur du projet et second pilote, sous l’œil des caméras.
Mais ce 28 juin – cette fois sans avoir averti la presse – départ! Pour 8263 km, parcourus à une vitesse variant entre 80 et 140 km/h, en jouant aux montagnes russes: chacun des cinq jours, l’aéroplane a grimpé à 10 000 m d’altitude pour recharger ses batteries avec ses 17 248 cellules photovoltaïques, avant de planer puis voler à plat dans la nuit vers 2000 m, entre les nuages et deux fronts froids. Le second, franchi comme un mur lors du quatrième jour, a causé des sueurs froides au pilote autant qu’aux ingénieurs du centre de contrôle à Monaco, en raison des fortes turbulences rencontrées. Ceci surtout alors qu’André Borschberg, 62 ans, qui a dormi par tranches de 20 minutes durant le périple, avait accumulé une grande fatigue.
Plus tôt, durant ces mêmes périodes de repos, un autre souci était apparu: le pilote automatique ne cessait d’enclencher des alarmes dans le cockpit de 3,8 m3 . Les ingénieurs, dans une manœuvre délicate, ont alors demandé au pilote d’éteindre et de relancer certains systèmes électroniques. Et tout est rentré dans l’ordre. «Malgré cela, l’avion s’est très bien comporté, tant il a été construit avec minutie par toute l’équipe», souligne l’astronaute Claude Nicollier, responsable des essais en vol. «C’est une magnifique récompense pour les dizaines d’ingénieurs qui ont œuvré à ce projet depuis plus d’une décennie», ajoute Olivier de Sybourg, qui les a vus travailler sous ses yeux dans le hangar du SESA à Payerne, où le Si2 a été finalisé.
Arrivée il y a deux jours à Hawaii, et alors qu’elle scrutait dans la nuit l’avion qui tournait en rond dans le ciel – l’équipe a attendu l’aube pour faire poser l’avion afin de prendre des images du survol d’Hawaii – Bertrand Piccard a expliqué sur Internet son émotion et les larmes, de joie cette fois, qu’il a versées lorsqu’il aperçut les seize phares d’ampoules LED de l’avion large de 72 m.
Et de raconter: «Lorsque, le 29 juin, nous avons passé le point de non-retour, j’ai ressenti un sentiment absolu et irréversible que nous allions y arriver. C’était si puissant que rien, ni chez André, ni chez moi, ne pouvait nous faire changer d’avis concernant l’issue de ce vol.» Un périple qui, outre les séquences de pilotage pur, les siestes et les sollicitations en plein ciel de médias du monde entier, a alors aussi permis à André Borschberg de se détendre. En lisant un recueil d’anecdotes écrites par son équipe et caché dans le cockpit. Ou en s’amusant, lorsqu’il s’est déguisé à l’aide d’une longue barbe en s’étonnant qu’elle ait poussé pendant la nuit. «Une autre journée ordinaire au bureau», blaguait-il sur Twitter à l’aube du quatrième jour de vol.
A peine posé, l’avion a été pris en charge par les ingénieurs, qui doivent le remettre en état pour la suite, imminente, de l’aventure: dans trois jours au mieux si la météo le permet, c’est Bertrand Piccard qui prendra les commandes pour achever la traversée du Pacifique et rejoindre Phoenix, aux Etats-Unis.
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«Un exploit qui place la Suisse sur le radar international»
Nicolas Bideau, ambassadeur et directeur de Présence Suisse:
«Avant cette étape, tout le monde avait l’impression que le projet était facile. Puis, cette traversée lui a vraiment permis d’acquérir une dimension de réelle aventure. Avec du risque, et beaucoup d’émotions. Avant cette étape, le message pro-environnemental que transportait le projet touchait à ses limites de diffusion. Désormais, avec la dimension humaine qui l’englobe, il s’en trouve amplifié. Pour la Suisse, ce projet, qui a d’abord surpris à l’international mais qui, au final, s’est avéré bien suisse à travers le minutieux mais technique travail d’ingénieurs bien mis en scène, permet maintenant à notre pays de montrer également une belle facette humaine.»
Patrick Aebischer, président de l’EPF de Lausanne:
«J’ai de l’admiration pour ce succès, surtout pour son côté humain. Pour le courage d’André Borschberg et la vision de Bertrand Piccard. L’EPFL a mené la première étude de faisabilité, mais c’est toute l’équipe qui l’a concrétisée. Chapeau! L’EPFL a cru à ce rêve, et maintenant, à travers les relations que nous avons gardées, cela suscite encore l’enthousiasme chez nombre d’étudiants. Concernant les applications que ce projet va permettre, les connaissances acquises durant ces cinq jours de vols consécutifs seront énormes lorsque l’on évoque le développement de drones stratosphériques géants, pouvant emporter des instruments scientifiques voire des systèmes de transmission de wi-fi. C’est un domaine dans lequel l’EPFL veut se profiler. Quitte à le faire avec des partenaires industriels. Et dans ce domaine émergeant, la performance de Solar Impulse permet de placer la Suisse sur le radar international.»
Stephen Urquhart, président d’Omega, sponsor du projet:
«Omega félicite André et l’ensemble de l’équipe Solar Impulse. Nous avons toujours été impliqués émotionnellement et techniquement dans cette incroyable aventure, aussi la réussite de la périlleuse étape de Nagoya à Hawaii est-elle un exploit dont nous pouvons être fiers. Solar Impulse est le témoignage de l’esprit pionnier qui nous anime tous.»