Près du pôle Nord de Mars, le sol qu’a analysé la sonde Phoenix ressemble à celui de vallées sèches de l’Antarctique. Selon les chercheurs, «rien n’y empêcherait le développement de la vie».
«Le sol que nous avons trouvé sur Mars est du type de celui que vous trouveriez dans votre jardin et dans lequel vous pourriez faire pousser des asperges!» Les explications de Samuel Kounaves, l’un des responsables de la sonde Phoenix qui s’est posée le 25 mai près du pôle Nord de la planète rouge, ont fait rire l’assistance de la conférence de presse téléphonique, dans la nuit de jeudi à vendredi. Mais ils ont aussi suscité énormément d’excitation: «Il n’y a rien dans ce sol qui empêcherait la vie. Il semble y être au contraire très propice, sans rien de toxique», a-t-il ajouté.
Que l’on s’entende: la petite mission Phoenix Mars Lander, devisée à 420 millions de dollars, n’a pas découvert des traces de vie sur Mars – elle n’est pas du tout équipée pour cela. L’un de ses objectifs était toutefois de déterminer si la planète pouvait héberger des conditions telles qu’une forme de vie, probablement primitive, ait pu ou puisse peut-être encore s’y trouver. Avec l’annonce de ces premiers résultats, tout porte à croire que oui.
Pour passer sous la loupe des miettes du sol martien, les scientifiques ont à leur disposition deux instruments d’analyse, le MECA (pour Microscopy, Electrochemistry and Conductivity Analyzer) et surtout le TEGA (Thermal and Evolved-Gas Analyzer). Il s’agit d’une grosse boîte composée de quatre cellules dans lesquelles le bras robotisé, équipé d’une pelle, peut déverser le sable qu’il a grappillé. Ces récipients peuvent ensuite être chauffés à 1000°C, ce qui transforme leur contenu solide en vapeur. Un gaz dont les composants peuvent enfin être déterminés. «Il s’agit là de la première analyse du genre d’une autre planète que la Terre», a souligné Samuel Kounaves.
Les scientifiques ont reçu, jusque-là, 80% des données issues du premier de ces quatre mini-fours. Première constatation: «Le sol est alcalin, avec un pH valant entre 8 et 9.» Traduction: le pH (pour «potentiel hydrogène») détermine l’acidité d’une solution, et varie entre des valeurs de 0 et 14; il est dit neutre lorsqu’il vaut 7. Or, situé entre 8 et 9, le pH de la vapeur examinée n’est pas si différent de, par exemple, celui de l’eau de mer (8,2). Ce qui veut dire que le sable martien n’est ni trop ni trop peu acide pour exclure la présence de vie.
Deuxième résultat: «Le sol contient de nombreux nutriments inorganiques, des composants salés, incluant du magnésium, du sodium, du potassium et du chlorure», explique Samuel Kounaves. Bien que la présence de ces éléments chimiques sur Mars fût déjà connue, les chercheurs se demandaient s’ils étaient solubles. Ce qui est donc le cas. Selon Claude-Alain Roten, exobiologisteet génomiste à l’Université de Lausanne, «ces sels sont effectivement importants lorsqu’on évoque la présence d’une vie possible».
Enfin, le «laboratoire de petit chimiste» de Phoenix a détecté de petites quantités de dioxyde de carbone (CO2), ce qui n’est pas surprenant puisque la fine atmosphère de Mars en est largement constituée, ainsi que de la vapeur d’eau. «Cela nous prouve que ce sol a clairement interagi avec de l’eau dans le passé», a conclu William Boynton, responsable du TEGA.
«Aujourd’hui, Mars est pourtant trop froide près de ses pôles, bien moins que -50°C, pour que de l’eau puisse couler en surface», dit Claude-Alain Roten. De plus, la planète est bombardée par des rayons UV, ce qui y rend toute présence de vie très improbable en surface. «Par contre, les UV n’atteignent pas le sous-sol. Et là, rien d’impossible à ce qu’il y ait de l’eau liquide…»
L’un dans l’autre, «là où s’est posé Phoenix, le sol correspond à celui que l’on peut retrouver sur Terre dans les «vallées sèches» de l’Antarctique», résume Samuel Kouvanes. Ces régions du continent blanc, ni prisonnières de la glace ni recouvertes de neige en permanence, présentent des conditions de sécheresse et de froid extrêmes (-20°C en moyenne), parce qu’elles sont balayées par les vents catabatiques, qui dévalent les pentes de l’Antarctique à plusieurs centaines de km/h. Pourtant, des organismes primitifs (bactéries, micro-algues unicellulaires, levures, etc.) y ont récemment été découverts.
Par ailleurs, les scientifiques ne cessent d’être surpris par la capacité de certains micro-organismes à vivre dans des environnements considérés comme exagérément inhospitaliers (glaciers, cheminées volcaniques ou lacs acides comme le contenu d’une batterie de voiture). En 2005, des chercheurs de la NASA ont même annoncé avoir fait revivre des bactéries qui «dormaient» depuis 32000 ans dans une mare glacée de l’Alaska. Ceux qui s’intéressent à Mars estiment donc que de tels «extrémophiles» pourraient aussi exister sur Mars.
Du côté des responsables de la mission Phoenix, on qualifie tous ces résultats préliminaires de «spectaculaires et exaltants». Claude-Alain Roten reconnaît leur intérêt, «notamment sur le fait que l’on retrouve une minéralogie similaire sur les deux planètes que sont Mars et la Terre, qui ont pourtant une atmosphère différente aujourd’hui». Mais l’exobiologiste relativise aussi: «Il faut parfois être prudent avec les annonces de la NASA. Les données présentées sont tout à fait valables, mais les scientifiques ont parfois une manière trop enthousiaste de les communiquer, car ils doivent justifier leurs budgets auprès des contribuables… Cela ne m’étonnerait pas d’entendre, après un bouche-à-oreille au sujet de ces recherches, que la vie a été trouvée sur Mars…» De l’avis de tous les chercheurs, même américains, il faudra du temps, ainsi que d’autres missions, pour l’affirmer avec certitude.