Quel est le tableau de départ des négociations de Copenhague? Comment sont calculées les émissions auxquelles les nations ont encore droit d’ici à 2050? Plongée dans les chiffres de base
Deux degrés Celsius. Une valeur qui apparaît au détour de toutes les discussions et articles de presse sur le climat. Et qui conditionne les plans d’émissions de gaz à effet de serre qui seront discutés à Copenhague. Comment?
Ce seuil de 2°C d’augmentation des températures par rapport à l’ère préindustrielle (1850) est aujourd’hui, grâce aux travaux des scientifiques du GIEC, adopté par 115 pays comme la limite au-delà de laquelle le réchauffement climatique s’avérerait «dangereux». En 2008, dans son rapport, le Climate Change Expert Group de l’UE résume: «D’une augmentation moyenne globale des températures supérieure à 2°C résulteront […] des impacts considérables dépassant les capacités d’adaptation de plusieurs systèmes [humains, naturels, etc.]. Cela générera aussi un risque élevé, croissant et inacceptable d’effets irréversibles à large échelle» – fonte des calottes polaires, pertes de multiples espèces, acidification des océans, élévation de leur niveau.
Avec les polluants relâchés depuis l’ère industrielle et à cause de la déforestation, la température a déjà crû de 0,8°C sur Terre durant le XXe siècle. Et les gaz à effet de serre (GES) qui sont présents maintenant dans l’atmosphère suffiront déjà, quoi qu’il arrive, à ajouter 0,6°C à cette moyenne, le processus de réchauffement n’étant pas immédiat. L’Alliance des petits Etats insulaires, aux premières loges du réchauffement, plaide ainsi pour fixer à 1,5°C, et non 2°C, la valeur de travail.
«Il n’y a pas de limite claire entre des changements climatiques dangereux et d’autres qui ne le seraient pas: le seuil des 2°C est lié à des jugements de valeur, reconnaît Reto Knutti, de l’Institut de recherche sur l’atmosphère et le climat à l’EPF de Zurich. Il est difficile par exemple de déterminer le dommage que représente l’extinction d’une espèce animale. Limiter le réchauffement à 2°C est peut-être le mieux que nous puissions atteindre, et en même temps le pire que nous puissions encore tolérer.»
Pour avoir une chance sur deux de ne pas dépasser ce seuil, les scientifiques ont calculé que les concentrations de GES ne devaient pas dépasser 450 ppm de CO2; les ppm – pour «partie par million» – sont une mesure du rapport entre les quantités de GES et des autres gaz naturellement présents dans l’air. Actuellement, ce taux est de 387 ppm, et il ne cesse évidemment de grimper…
«Il existe encore des inconnues dans ces calculs, admet Corinne Le Quéré, professeure en sciences de l’environnement à l’Université d’East Anglia (Angleterre). On connaît mal le rôle des océans ou des sols dans l’absorption ou le relâchement de CO2 selon des effets rétroactifs dus au réchauffement. Cette valeur de 450 ppm est donc la plus pertinente aujourd’hui, vu les connaissances actuelles des incertitudes.»
En juin, une équipe de scientifiques, dont fait partie Reto Knutti, a publié ses calculs dans la revue Nature : pour avoir 75% de chance de ne pas dépasser ces 450 ppm, l’humanité peut encore émettre 1000 milliards de tonnes (ou gigatonnes, Gt) de CO2 d’ici à 2050. Cela semble beaucoup. Que nenni: rien qu’entre 2000 et 2010, le tiers (soit 335 Gt) a déjà été relâché sur toute la planète. Et, au rythme actuel (environ 32 Gt par an), il ne faudra que vingt ans pour atteindre ce quota de 1000 Gt… Autrement dit: moins de la moitié des réserves exploitables de pétrole, gaz et charbon connues à ce jour peut être brûlée avant de dépasser cette limite.
Les nations doivent donc se mettre d’accord sur la manière de «dépenser» au mieux les 665 Gt restantes (soit 1000 Gt moins les 335 Gt déjà émises durant la décennie écoulée) auxquelles l’humanité a théoriquement droit d’ici à 2050 avant que la planète ne souffre d’une fièvre irréparable. C’est là tout l’enjeu des discussions de Copenhague.
Plusieurs pays ont annoncé leurs intentions de participation à cet effort global. Le 27 novembre, le Conseil fédéral a par exemple indiqué que la Suisse allait réduire ses rejets de gaz à effet de serre de 20 à 30% d’ici à 2020. A nouveau, des scientifiques de l’Institute for Climate Impacts Research de Potsdam (Allemagne) ont fait leurs calculs, publiés le 11 juin dans Nature Reports Climate Change : pour respecter l’objectif des 2°C, les pays industrialisés devraient, d’ici à 2020, réduire leurs émissions de 25 à 40% par rapport aux niveaux de 1990. Or les chercheurs ont additionné toutes les mesures annoncées par ces mêmes pays: la réduction totale ne serait à ce jour que de 8 à 14%…
Par ailleurs, l’engagement des pays en voie de développement et des puissances émergentes ne leur feraient réduire leurs émissions que de 4% d’ici à 2020 par rapport à leur train de vie actuel. On le voit: pour l’instant, le compte n’y est pas, les efforts réalisés par le concert des nations ne sont pas du tout suffisants, des réductions plus importantes que prévu doivent être consenties.
Et ce n’est pas tout: toujours pour rester en deçà des 1000 Gt de CO2 d’ici à 2050 (donc des 450 ppm, donc des 2°C), il faudrait une réduction mondiale des émissions de 50 à 85% par rapport à 1990 entre 2020 et 2050! Un devoir commun qui sera aussi âprement négocié à Copenhague: les pays émergents demandent en effet que les pays riches, principaux responsables jusque-là des émissions de GES, fassent en proportion beaucoup plus d’efforts (une diminution de 80 à 95%) de réduction qu’eux, qui ont «droit» à leur développement économique.
Selon les scientifiques, enfin, il serait crucial – voire pertinent – que tout le monde se mette d’accord le plus tôt possible: si les efforts communs permettaient d’atteindre le pic d’émissions global en 2011 déjà, le taux de réduction annuel global à soutenir serait presque deux fois et demie moindre que si l’humanité ne commence qu’en l’an 2020 à inverser la tendance .