Dans la savane kenyane, les éléphants sont capables d’interpeler leurs congénères directement, comme en les appelant par leur nom. C’est grâce à l’intelligence artificielle, pour analyser des centaines d’heures d’enregistrements de barrissements, que des chercheurs américains ont fait cette découverte, qui ouvre de fascinantes questions sur le fonctionnement social de ces pachydermes.
Intelligents, expressifs, ces animaux sont connus pour être très sociaux, avec une structure familiale complexe. Une sociabilité qui se concrétise aussi à travers leurs barrissements. Ce qui a permis à des chercheurs de la Colorado State University de faire une découverte fascinante, comme l’explique l’un d’eux, le professeur George Wittemyer: « Dans un grand groupe, une femelle peut lancer un cri auquel tous les autres éléphants répondront. Mais parfois, avec un appel similaire, aucun ne réagira, sauf un. Cela indique que les éléphants ont un moyen de s’adresser de manière ciblée à un congénère. » Autrement dit: qu’ils l’appellent par ce qui peut ressembler à un nom.
Des centaines d’heures d’enregistrement
Pour arriver à cette conclusion, les scientifiques ont d’abord, durant plusieurs années, enregistré 470 échanges impliquant plus d’une centaine d’éléphants dans une réserve naturelle au Kenya. Ils ont ensuite passé ces données au crible d’un système d’intelligence artificielle (machine learning), dans l’idée de tenter de reconnaître des motifs sonores caractéristiques. Et ils sont parvenus à isoler ce qui ressemble à des appels distinctifs entre deux individus. Des résultats publiés dans la revue Nature Ecology & Evolution.
Cette méthode d’analyse est très puissante, comme le souligne Klaus Züberbühler, professeur de biologie à l’Université de Neuchâtel et expert du langage, qui l’utilise également en Afrique mais sur des chimpanzés: « A l’aide de l’intelligence artificielle, on peut repérer dans les sons des subtilités qui ne sont autrement, manuellement, pas accessibles. Et ce que mes collègues ont vraiment bien fait, c’est de rejouer ces sons aux individus pour comparer les réactions. Là, ils ont vraiment fait un grand progrès ».
Expérience concluante
En effet, dans une expérience, les scientifiques américains ont diffusés à une éléphante l’enregistrement de sa fille semblant s’adresser à elle: celle-ci lève la tête et répond par un barrissement. Mais lorsqu’ils ont passé à cette même éléphante l’enregistrement d’un appel de sa fille destiné cette fois à un autre éléphant, la mère tend l’oreille, mais sans barrir en réponse. De quoi, selon les chercheurs américains, démontre que ces pachydermes peuvent s’interpeller directement.
Une capacité similaire d’interaction avait déjà été observée chez les dauphins et certaines espèces de perroquets. Mais pour interagir avec leurs proches, ces animaux-là ne font qu’imiter les bruits produits par les destinataires de leur message. Les éléphants, eux, semblent attribuer à leur congénère de sons choisis spécifiquement et arbitrairement. De quoi élargir le champ d’étude et poser de nouvelles questions, selon Klaus Zuberbühler: « Par exemple, est-ce qu’il y a une fonction de ce type de communication ? Est-ce qu’ils s’appellent pour un but ? Par exemple pour se retrouver, pour partager une information sur l’environnement. Cela ouvre une autre dimension de la richesse sociale des éléphants qu’on n’avait pas avant. »
Une dimension qui ne fait aussi que rendre ces pachydermes plus attachants encore.