Un consortium suisse dirigé depuis l’Université de Berne devrait lancer Cheops en 2017 pour aller caractériser les exoplanètes de petites masses potentiellement similaires à la Terre. Ce projet fait entrer la Suisse dans le cercle fermé des pays qui ont les capacités de gérer de A à Z un satellite scientifique
En pointe depuis 1995 dans la traque des exoplanètes à l’aide d’instruments terrestres, les scientifiques helvétiques voient désormais plus haut: en 2017, la Suisse devrait lancer son premier télescope spatial, baptisé Cheops, qui permettra d’étudier depuis une orbite lointaine ces planètes gravitant autour d’une autre étoile que notre Soleil.
Vendredi, l’Agence spatiale européenne (ESA) a choisi à l’unanimité ce projet estimé à 90 millions de francs, dont Le Temps avait révélé l’existence en mars (LT du 16.03.2012). Une initiative qui augure de retombées autant scientifiques et industrielles que prestigieuses. «La Suisse entre dans le cercle fermé des pays qui ont le savoir-faire pour construire et gérer de A à Z un satellite», se réjouit Didier Queloz, astronome à l’Observatoire de Genève et collaborateur du projet.
Son responsable, Willy Benz, professeur à l’Université de Berne, en explique les objectifs: «Il s’agira de pointer avec précision ce télescope vers quelque 500 étoiles que l’on sait déjà être accompagnées par des exoplanètes de petite masse, afin de mieux les caractériser.» La majorité de ces «autres mondes» a été détectée grâce à la méthode dites des «vitesses radiales», qui permet de calculer leur masse, mais pas leur rayon. Or, celui-ci peut être établi si la planète en question passe devant l’étoile autour de laquelle elle orbite. Ce sont ces transits que va traquer Cheops, acronyme pour «CHaracterizing ExOPlanet Satellite». «Car, avec le rayon et la masse d’une exoplanète, on peut déterminer sa densité, et donc sa composition (roche, glace, gaz)», dit Willy Benz. Le tout avec, en tête, l’ambition de trouver une «sÅ“ur jumelle» de la Terre.
«Cette mission a été choisie parmi 26 propositions», indique Alvaro Gimenez, directeur scientifique de l’ESA. «Cet engouement souligne le fort intérêt de la communauté scientifique pour des missions réalisables rapidement, visant à répondre à des questions clés en astronomie.» C’est en effet le 9 mars dernier, avec délai à mi-juin, que l’ESA a lancé le premier appel pour ce nouveau type de petits projets dits de «classe-S», d’un coût maximal de 150 millions d’euros.
L’instrument de 200 kg, gros comme un réfrigérateur, sera construit par un consortium dirigé depuis l’Université de Berne, impliquant des hautes écoles et industries suisses, mais aussi des partenaires étrangers. Le Swiss Space Center, basé à l’EPF de Lausanne, assurera les aspects satellitaires: «Déterminer l’orbite idéale, étudier les facteurs environnementaux, mais aussi définir les exigences liées au satellite: type de lanceur, moyens de communication, éléments de structure», cite Anton Ivanov, chargé du design de la mission.
A l’EPF de Zurich, on teste un instrument qui permettrait d’étudier l’atmosphère des exoplanètes scrutées. Pour ce faire, il faut se départir de tout rayonnement infrarouge externe, causé par exemple par l’environnement thermique du satellite. «Cet instrument est pour l’heure en option sur Cheops», dit Willy Benz.
L’Observatoire de l’Université de Genève, lui, aura pour tâche de mettre sur pied le centre de données. «Il s’agira de collecter les mesures brutes, de les calibrer, d’en faire un produit utilisable, de les archiver et de les distribuer pour analyse. Un travail si exhaustif n’a jamais été assuré en Suisse», explique Didier Queloz.
Au-delà des frontières, des contributions viendront d’Autriche (ordinateur de bord), de Suède (pointeur stellaire), d’Italie (miroir), d’Angleterre (station de communication) et de Belgique (parasol protecteur du satellite). «Nous sommes aussi en discussion avec d’autres pays», ajoute Willy Benz.
Selon le professeur, ce projet est porteur à plusieurs niveaux: «C’est la première mission de l’ESA réellement dédiée aux exoplanètes. En avoir le leadership avec elle est important.» «Ce projet rassembleur est en totale adéquation avec la politique spatiale suisse, car il contribue à nous confirmer dans une niche scientifique où nous sommes déjà très compétitifs», soutenait de son côté, en mars dernier, Daniel Neuenschwander, chef du domaine des affaires spatiales au Secrétariat d’Etat à l’éducation et la recherche.
«Cela nous permet ensuite de sortir de notre rôle habituel de sous-traitant, qui consistait surtout à fabriquer des pièces pour d’autres satellites», poursuit Willy Benz. Le projet Cheops présentera ainsi l’occasion d’acquérir un savoir-faire encore non maîtrisé en Suisse, d’abord dans les milieux académiques: «Les chercheurs du Swiss Space Center vont travailler étroitement avec ceux de l’ESA pour le développement de la plateforme du satellite.» Mais aussi dans les milieux industriels: «Notre industrie spatiale aura l’occasion de développer des compétences nouvelles, comme l’intégration du télescope sur cette plateforme, et ainsi de se profiler de manière inédite. Certes, nous n’aurions jamais les capacités pour gérer de grands projets, comme le font les agences spatiales française (CNES) ou allemande (DLR). Mais pour les missions de «classe-S», nous pourrons en assumer en Suisse la responsabilité du début à la fin.»
Ces petites missions sont soutenues à hauteur maximale de 50 millions d’euros par l’ESA. Pour boucler le budget de Cheops, estimé officieusement à 90 millions de francs, ses concepteurs devront trouver de l’argent ailleurs. «Afin de garder le leadership, la Suisse devrait contribuer à hauteur d’une trentaine de millions», dit Willy Benz. «Et autant devraient venir de nos partenaires étrangers.»
Quant au lancement de ce premier télescope spatial helvétique, il devrait donc survenir à l’horizon 2017. Pour autant que la mission ne souffre pas «d’un dépassement de budget trop important, ou de l’apparition imprévue d’un problème technologique insurmontable», dit Willy Benz. «Nous avons une année pour régler les derniers détails.»
«C’est un juste retour des choses que ce projet se fasse en Suisse, où a commencé la recherche sur les exoplanètes», dit Didier Queloz. C’est en effet lui qui a découvert en 1995, avec son professeur Michel Mayor, le premier de ces autres mondes; on en dénombre 843 aujourd’hui.
Et pourtant, le chercheur de 46 ans vient d’être recruté par l’Université de Cambridge, où il enseignera dès 2013 (LT d’hier). Il gardera toutefois un pied dans celle de Genève, justement pour s’occuper du volet genevois de Cheops. «L’Europe est en train de vraiment se réveiller dans ce domaine. Et cette mission, justifiée et impérative, a aussi été unanimement recommandée avec enthousiasme.» «Cette initiative est une grande idée et pourrait produire, à petit budget, des résultats très intéressants», confirmait en mars Geoffrey Marcy, astrophysicien à l’Université de Berkeley et principal concurrent du consortium suisse.