L’Agence spatiale européenne a lancé avec succès vendredi le satellite Sentinel-5P. Cette plateforme va mesurer quasiment en temps réel les concentrations de gaz polluants dans l’atmosphère, sur tout le globe. De quoi mieux annoncer les pics de pollution
La Terre vient de placer son atmosphère sous surveillance spatiale. Vendredi à 11h27 a décollé du cosmodrome russe de Plessetsk le satellite Sentinel-5P de l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette plateforme de haute technologie permettra, quasiment en temps réel, de renseigner la population sur les pics de pollution atmosphérique, livrera des informations sur la couche d’ozone et fournira aux décideurs des données cruciales sur le climat. C’est l’un des maillons de l’important programme européen d’observation de la Terre, nommé Copernicus.
Constitué d’une flotte d’une quinzaine d’autres Sentinel, celui-ci consiste à fournir moult données sur les océans, les surfaces émergées, l’atmosphère, la végétation, etc. «Qui plus est, des informations exploitables gratuitement et ouvertement. De quoi encourager des sociétés à s’en saisir pour développer des services terrestres», dit José Achache, directeur d’AP-Swiss, une entité dont le but est de soutenir de telles démarches. Et le père des Sentinel, alors qu’il était directeur de l’observation de la Terre à l’ESA, de préciser: «Pour être viables, ces entreprises ont besoin d’une garantie que ces données seront disponibles durant vingt ans. C’est l’ambition de Copernicus.»
Cartographie quotidienne des concentrations d’aérosols
Ainsi Sentinel-5P devra-t-il faire le lien entre les mesures acquises par le satellite géant Envisat (désactivé en 2012), l’instrument néerlandais OMI à bord de l’engin américain Aura (en fin de vie) et le futur Sentinel-5, qui sera lancé dans les années 2020. Son instrument, un spectromètre de pointe (Tropomi), cartographiera chaque jour, sur l’ensemble de la surface du globe, les concentrations d’aérosols et de six gaz à l’état de traces (dioxyde d’azote, ozone, formaldéhyde, dioxyde de soufre, méthane et monoxyde de carbone), qui polluent l’air que nous respirons. Et ceci avec une résolution de 7 km sur 3,5 km, soit à l’échelle d’une ville.
«Il sera possible de recommander aux habitants de rester chez eux en cas de pics de pollution», dit Kevin McMullan, le manager du projet, en rappelant que le monde a connu, en 2012, 3,7 millions de décès prématurés (avant 65 ans) dus à un air souillé; l’Europe en aurait dénombré 520 400 en 2014. «La pollution à l’oxyde d’azote due aux cargos pourra être suivie à la trace, ce qui permettra d’évaluer les améliorations exigées dans ce domaine», ajoute José Achache.
De plus, grâce à ces données, les scientifiques suivront l’évolution de la couche d’ozone, qui protège la Terre des rayons UV nocifs. Depuis 1985 et le Protocole de Montréal, bannissant les gaz CFC, le fameux trou qui s’y était créé se refermerait. «On s’attend à ce que, d’ici à 2030 ou 2040, les niveaux soient revenus à la situation d’avant 1985, dit Kevin McMullan. Or cela, il faut pouvoir le mesurer.»
Encore que: une étude publiée jeudi vient ternir cet espoir. Des chercheurs de l’Université britannique d’East Anglia ont découvert que d’autres substances attaquaient la couche d’ozone stratosphérique, et pourraient retarder sa régénération d’une trentaine d’années. Ces substances (notamment du dichlorométhane) sont utilisées dans les produits décapants, l’industrie agrochimique ou pharmaceutique. «Leur concentration a décru dans l’atmosphère entre 1990 et 2000, mais a depuis augmenté de 60% de manière surprenante», dit David Oram, auteur de l’étude. «Sentinel-5P n’a pas été conçu pour observer le dichlorométhane, admet Mark Drinkwater, chef des missions scientifiques à l’ESA. Mais le satellite peut scruter ses dommages sur la couche d’ozone. Ce qui justifie sa surveillance.»
D’autres domaines bénéficieront du travail de Sentinel-5P, tels les services de suivi des émissions de cendres volcaniques, déterminant pour assurer la sécurité du trafic aérien.
Suivi des mesures contre le réchauffement
Enfin, le satellite livrera des informations cruciales concernant certains gaz à effet de serre, dont le méthane. Les données de ce projet à 240 millions d’euros sont-elles pourtant encore indispensables, le problème étant connu? Vont-elles inciter les décideurs à agir? «Pour les gens qui doutent encore des changements climatiques, nous voulons glaner encore plus de données, répond Kevin McMullan. Surtout, le suivi très précis à long terme que permettra Sentinel-5P, puis ses successeurs, leur fournira un moyen de vérifier les effets de la mise en œuvre de leurs décisions.»
Un autre gaz a effet de serre majeur ne sera pas détecté par Sentinel-5P: le CO2. «Lorsque le satellite a été conçu, l’on cherchait encore la meilleure façon de le mesurer depuis l’espace», explique José Achache. Vendredi pourtant, ont été publiés dans la revue Science les résultats du satellite américain OCO-2, dont l’objectif est d’examiner l’évolution dans l’atmosphère du CO2 produit par la combustion des énergies fossiles, et de déterminer son impact sur la végétation.
«De notre côté, nous attendions de disposer d’une technologie robuste», affirme Mark Drinkwater. Qui annonce: «La traque du CO2 sera une priorité de l’Europe pour la deuxième flotte de six satellites Sentinel, qui devrait être décidée au niveau européen en 2019. Ensuite, nous envisageons de créer un réseau mondial de plateforme de mesure du CO2 de façon à mettre à disposition des Etats un outil pour vérifier leurs engagements nationaux contre le réchauffement.»