LE TEMPS || L’ancien vice-président américain parcourt le monde pour promouvoir son film documentaire sur les changements climatiques. Rencontre avec un «born again».
«Hello, je m’appelle Al Gore. J’étais le futur président des Etats-Unis.» C’est par cette boutade que l’homme met d’emblée l’assemblée dans sa poche à chaque fois qu’il donne sa conférence sur ce qui est une «crise planétaire sans précédent»: les changements climatiques et leurs conséquences.
C’est que le candidat démocrate à qui la Cour suprême avait refusé la Maison-Blanche en 2000 a trouvé un second souffle. Il est devenu conseiller d’entreprises (Google, Apple), a lancé une chaîne TV pour ados (Current TV) et créé Generation Investment Management, société soutenant le développement durable. Car, surtout, en voyageant de ville en ville pour présenter son show, cet entrepreneur «néo-vert» s’investit aujourd’hui pleinement dans une problématique qui le préoccupe depuis trente ans, la protection de l’environnement.
Le succès de sa démarche est tel qu’il l’a incité à la décrire dans un film; Une Vérité qui dérange sort mercredi en Suisse romande. Al Gore y apparaît comme un «born again», homme nouveau qui défend son sujet avec verve, humour et conviction. Autant de traits de caractère qui lui ont manqué lors de sa campagne présidentielle en 2000. Samedi, à l’invitation du WWF, il était à Zurich pour évoquer son retour sous les projecteurs. Le Temps l’a rencontré.
Une vérité, les changements climatiques, qui dérange. En quoi?
«Cette vérité est dérangeante pour nous tous, car notre civilisation est basée sur la consommation d’énergies fossiles. Mais elle l’est surtout pour les gros pollueurs: les compagnies pétrolières et celles qui produisent du charbon. Certaines dépensent des millions par an pour désorienter le grand public. Et leurs alliés politiques trouvent aussi cette crise gênante. Car s’ils l’acceptaient, ils devraient aussi accepter l’obligation morale d’opérer des changements. Mais comme leurs principaux bailleurs de fonds ne souhaitent pas ces changements, ils refusent eux aussi de voir la vérité.»
Sa mission: convaincre chaque citoyen, l’un après l’autre si besoin
Al Gore l’avoue en des termes presque évangéliques, il a une mission: «Les politiciens vont rester timides jusqu’à ce que les gens leur demandent d’agir. Je concentre donc toute mon énergie à changer l’esprit des gens.» Dans le film, il regrette que ceux-ci, face au réchauffement climatique, passent directement du déni au désespoir. Mais le prédicateur vert tient la solution: «L’espoir est l’antidote au désespoir.» Cet espoir qui doit faire croire aux gens que leurs actions peuvent changer le monde: «Le système politique est aussi capable de décider rapidement.» Car, au final, «ce sont les générations futures qui sont en jeu. Nous avons une obligation morale de réagir.» Et dans sa croisade, le politicien se réjouit de se découvrir un allié: «La réalité. Les catastrophes naturelles. Les gens commencent à relier les points…»
Devoir choisir entre économie et environnement? Un faux choix pour deux raisons, selon Al Gore.
«Si nous n’avons plus de planète, l’économie non plus n’ira plus bien…» L’autre argument: «Si nous agissons bien, nous créerons beaucoup d’emplois et de technologies.» Selon lui, taxer les émissions de CO2 devrait constituer le premier pas, partout: «Regardez en Norvège: le CO2 est capturé avant qu’il ne soit libéré dans l’atmosphère, puis enfoui au fond des océans. L’aspect intéressant dans cette approche technologique est la décision qui la sous-tend: l’instauration d’une taxe sur le CO2. Elle a poussé les entreprises à se creuser la tête pour éviter d’émettre trop de ce gaz.» Suit une formule imparable: «L’âge de la pierre ne s’est pas achevé parce qu’il n’y avait plus de pierre. De même, l’ère de l’énergie fossile ne prendra pas fin avec le pic du pétrole. Le changement arrive lorsque l’on est contraint de changer ses habitudes et faire quelque chose de mieux.»
Ses propres contributions à la protection du climat
Mettant ses sermons en pratique, Al Gore explique conduire une voiture hybride, utiliser des ampoules économiques. «Et je compense toutes les émissions de CO2 dont je suis responsable, comme lors des trajets en avion.» Comment? «En soutenant financièrement le remplacement de centrales à combustion polluantes en Inde par des unités solaires par exemple. Ou par des projets de plantations d’arbres.» Quant aux recettes du film, «elles seront reversées à une fondation menant des actions éducatives accroissant la prise de conscience sur le sujet.»
Son (in)action envers l’environnement durant sa vice-présidence
L’homme assure se préoccuper de l’environnement depuis trente ans. Trop radicalement parfois? Il fait en effet aussi l’objet de controverses dans ce domaine. D’aucuns dénoncent une certaine passivité durant son mandat de vice-président entre 1992 et 2000. Un seul exemple: avec le président Clinton, il aurait laissé s’accomplir la plus grande déforestation de l’histoire américaine (lire http://en.wikipedia.org/wiki/Al_Gore_controversies).
A-t-il l’impression qu’il aurait jadis pu en faire plus pour l’environnement? «Je n’aurais pas pu m’y atteler davantage. Si j’avais été plus intelligent, j’aurais peut-être pu faire un meilleur travail. Mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. Et c’était à une époque où plus de la moitié des articles de presse prétendaient que le problème pourrait ne pas être réel.» Cela aurait-il donc été un suicide politique d’insister? «Dans ma carrière, j’ai reçu le conseil d’arrêter d’évoquer autant le sujet, car il n’apparaissait jamais dans les sondages populaires. Maintenant, c’est un peu différent.» A-t-il mauvaise conscience par rapport à tout cela? «Non. Je n’ai pas l’impression de ne pas en avoir fait assez. J’aurais pu être plus adroit dans ma façon de faire, mais j’ai beaucoup appris. Comme la nécessité de s’adresser le plus simplement possible aux gens de la rue. Aujourd’hui, ce n’est pas pour me racheter que je fais ces conférences.»
En campagne pour 2008?
Pragmatique, Al Gore assure que seule la cause qu’il défend le motive, quitte pour cela à utiliser sa célébrité. Mais même s’il ne l’admet pas, le «politicien en convalescence», comme il se décrit lui-même, joue la carte de l’ambiguïté concernant la campagne présidentielle de 2008. Dans son film, il avertit: «Nous avons tout ce qu’il faut [pour freiner le réchauffement climatique]. Sauf la volonté politique. Mais cela, en Amérique, c’est une ressource renouvelable.» Une remarque auto-dirigée? «Je n’ai pas l’intention d’être candidat. Bien que je ne l’aie pas complètement exclu. Mais je ne m’y attends pas.» Quoi qu’il en soit, le politicien est sûr d’une chose: «Le climat et l’environnement seront des thèmes incontournables lors de cette campagne.»
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