C’est le 27 septembre que le patron de la société spatiale SpaceX devrait révéler des détails sur le lanceur géant qu’il ambitionne de construire, et d’utiliser dès 2024. Esquisses d’ingénieurs à partir des indices qui ont fuité
S’appellerait-il «Millenium»? «Indestructible II»? Ou «Hart of Gold»? «Il s’avère que le système MCT [pour Mars Colonization Transport] pourra aller bien au-delà de Mars, donc nous avons besoin d’un nouveau nom», a lancé Elon Musk sur Twitter le 16 septembre, demandant leur avis aux internautes. Pourquoi cette annonce laconique maintenant? C’est mardi 27 septembre, lors du Congrès astronautique international au Mexique, que l’entrepreneur américain devrait faire des révélations sur son monstrueux lanceur spatial visant à conquérir la planète rouge puis – c’est nouveau – d’autres contrées du système solaire! Un engin qu’il a décidé d’appeler Interplanetary Transport System, ou ITS.
Depuis des années, le moulin à rumeurs ne cesse de tourner, entraîné par les indices distillés par le patron de la société SpaceX. En 2014, il confirmait son rêve de sauvegarder sur Mars l’existence de l’humanité: «Nous devons développer un véhicule bien plus grand que ceux existant, qui fera paraître bien petites les fusées lunaires Apollo [hautes de 110 m]. Une sorte de système de transport colonial vers Mars, qui décollerait fréquemment. Nous pourrions le construire d’ici à dix ans.» En janvier 2015, sur le site Reddit, il ajoutait des éléments, sans toutefois révéler une architecture précise. Et en juin dernier dans le Washington Post, il envisageait les premiers vols vers Mars en 2024, avec installation sur place. Un voyage «dur, risqué et difficile. Des personnes mourront probablement – et elles le sauront. Mais elles ouvriront la voie et, à terme, il sera très sûr et confortable d’aller sur Mars.»
Pour cerner à quoi pourrait ressembler l’engin d’Elon Musk, divers ingénieurs se risquent à des ébauches, se basant sur les succès et les projets connus de SpaceX. Comme la capacité à récupérer le premier étage d’une fusée après l’avoir fait se poser à l’envers, telle celle de Tintin; un premier étage qui devient alors réutilisable, de quoi augmenter la cadence des lancements et baisser leur coût. Ou le développement du lanceur lourd de SpaceX, nommé Falcon Heavy, flanqué de deux propulseurs d’appoint, dont le vol inaugural est sans cesse repoussé, ce qui n’empêche pas Elon Musk d’affirmer que les décollages non habités vers Mars avec cet engin auront lieu dès 2018. Autre projet: la mise au point d’un moteur surpuissant, le Raptor, fonctionnant avec du méthane liquide et non un mélange d’oxygène et d’hydrogène liquide, comme d’ordinaire. «L’idée est de pouvoir refaire le plein du vaisseau sur Mars en produisant in situ l’oxygène et le méthane nécessaire», justifie Richard Heidmann.
Ce spécialiste de la propulsion spatiale qui a travaillé sur la fusée Ariane, et est aussi vice-président de la Mars Society française, a fait chauffer sa calculette pour oser des projections. En 2015, il tablait sur un lanceur constitué de trois corps accolés, similaire au Falcon Heavy mais en plus grand, permettant une poussée initiale suffisante pour lancer 10 000 tonnes – quasi la masse de la tour Eiffel! – et surtout adéquate pour placer en orbite basse 300 tonnes. «De quoi ensuite envoyer et déposer sur Mars 100 tonnes de charge utile», comme indiqué par Elon Musk. A moins que, comme ce dernier l’a glissé l’an dernier, «il semble plus sensé d’avoir un seul lanceur «monstre».
Fusée de 15 m de diamètre
C’est cette idée sur laquelle Richard Heidmann vient de produire une étude de faisabilité, que Le Temps s’est procurée. Selon lui, «la solution est de construire une gigantesque fusée ayant 15 m de diamètre. Or, c’est un des bruits qui courent: SpaceX aurait sollicité des fournisseurs d’outillage pour ce diamètre.» Comment faire, ensuite, pour faire s’élever dans les airs une masse de 10 000 tonnes? Avec des moteurs Raptor ayant chacun une poussée de 250 tonnes, l’équation se compliquait tant il en aurait fallu un grand nombre à loger sous la fusée. Mais là aussi, la boîte à rumeurs s’agite: «SpaceX travaillerait sur un moteur de 700 tonnes de poussée, dit l’ingénieur. Il suffirait alors de 13 moteurs.» Bien. Mais quelque chose cloche encore, car «notre configuration du lanceur ne permettait pas d’atteindre les performances voulues pour rejoindre Mars en un voyage de six mois, comme cela est classiquement envisagé»» Or, Elon Musk ne fait pas les choses classiquement…
En juin, sur Reddit, il a évoqué un périple vers la planète rouge en trois mois! Par quel miracle de propulsion? Des moteurs nucléaires? Electriques? Nul ne le sait. Richard Heidmann voit un moyen: lancer et «parquer» la fusée géante en orbite terrestre basse, puis l’y ravitailler en carburant avec un deuxième lanceur automatique. De quoi générer alors assez de vitesse pour atteindre Mars en trois mois seulement, au pire quatre. Et de faire d’une pierre deux coups: cette diminution du temps de voyage permettrait de réduire d’autant les doses de radiations ionisantes nocives que recevront les astronautes sur leur route.
Recréer une pesanteur
Et quid de la question de la gravitation? Des séjours de plusieurs mois ont déjà été effectués par des astronautes et ne sont pas délétères. Mais «pour des transports de passagers en masse, il serait souhaitable de recréer une pesanteur artificielle à bord, pour que les visiteurs débarquent au mieux de leur forme», estime Richard Heidmann. Qui a, là aussi, son idée: vu que des voyages de colonisation vers Mars sont prévus tous les 26 mois, il s’agirait de «relier deux par deux des navettes en transfert par un câble, afin de recréer une pesanteur martienne (0,38 fois celle de la Terre) par mise en rotation de l’ensemble».
Soit. Mais le casse-tête n’est pas terminé. Décoller de la Terre et voguer dans l’espace est une chose, se poser sur Mars et en repartir en est une autre, l’atmosphère y étant 100 fois moindre que sur Terre, générant ainsi moins de freinage à un engin lourd tombant du ciel. Des systèmes de décélération pour des masses importantes restent à développer: utiliser des rétrofusées comme sur les engins actuels de SpaceX, – «mais il faut emporter avec soi les carburants, ce qui ajoute de la masse», dit l’ingénieur français – ou temporairement augmenter la surface du vaisseau entrant dans l’atmosphère martienne, avec des panneaux déployables ou des structures gonflables, telles que celles qu’a testées la NASA en juin 2014 – «or là aussi, la masse totale de l’engin au décollage s’accroît».
Responsable des lanceurs à l’Agence spatiale européenne (ESA), Daniel Neuenschwander «salue l’ambition d’Elon Musk. Nous avons besoin de ce genre de personnage pour faire avancer l’exploration spatiale. C’est inspirant. Pour aboutir, son projet devra néanmoins encore passer des jalons programmatiques et techniques majeurs.» A ce sujet, la NASA non plus n’a pas toutes ces ressources: mercredi, elle a lancé un appel à idées aux industries et universités américaines «pour développer des technologies nécessaires à un voyage vers Mars», cela en parallèle à ses propres plans, «pour inclure des innovateurs non traditionnels inédits».
Mais Richard Heidmann insiste: «L’ambition martienne d’Elon Musk ne devrait plus être considérée comme le rêve d’un utopiste. Sa stratégie se dessine de façon désormais plus nette et convaincante, sur le plan technique mais aussi éthique et surtout économique. Beaucoup d’idées ont été émises dans le passé en matière de biens et prestations que pourrait commercialiser une colonie martienne, sans être jusqu’ici convaincantes. Le développement d’un moyen de transport interplanétaire peu coûteux et massif, tel que l’ambitionne SpaceX, change totalement la donne.»
Le vaisseau d’Elon Musk pourrait faire 15 m de diamètre, comme l’imagine l’ingénieur français Richard Heidmann. (R. HEIDMANN) «Nous avons besoin de ce genre de personnage pour faire avancer l’exploration spatiale»
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