Durant l’été 2012, le longeron de l’aile principale de la deuxième version de l’avion solaire en construction s’était brisé durant les tests de charge. L’assurance AXA Winterthur et l’équipe de Bertrand Piccard et André Borschberg sont en désaccord concernant le contrat d’assurance censé couvrir l’assemblage de l’avion
L’affaire porte sur plus d’un million de francs, et elle tombe à un moment où les concepteurs de l’avion solaire Solar Impulse cherchent des fonds frais pour compléter le budget du projet. Ceux-ci, a appris Le Temps, sont en litige avec l’assurance AXA Winterthur, qui refuserait d’honorer un contrat concernant la construction de l’aéroplane avec lequel ils souhaitent réaliser un tour du monde à l’énergie solaire en 2015. «Il faut laisser les avocats faire leur travail», dit Bertrand Piccard, président de Solar Impulse. Et André Borschberg, directeur du projet, d’ajouter: «Nous sommes dans la phase de conciliation devant un tribunal vaudois», l’entreprise Solar Impulse étant formellement installée dans le parc scientifique de l’EPFL, à Ecublens.
Le litige porte sur un incident survenu en juillet 2012, lors de la construction du HB-SIB, l’avion qui doit succéder au HB-SIA avec lequel l’équipe a plané de succès en succès depuis son premier vol jour-nuit-jour en 2010. Ce nouvel aéroplane doit avoir une aile d’une envergure de 72 m, contre 64 m pour son prédécesseur. La «colonne vertébrale» de cette dernière – le longeron –, constituée de trois morceaux appondus latéralement et qui a nécessité pour sa construction une soixantaine de traitements thermiques, a subi des tests de charge destinés à vérifier sa solidité. Pour ce faire, ce longeron a été poussé aux limites de ce que l’aile peut théoriquement supporter. Or durant cette épreuve, la partie centrale, dont la valeur dépasse le million de francs selon André Borschberg, s’est brisée. Vu qu’il a fallu plusieurs mois pour reconstruire un autre longeron, les concepteurs de Solar Impulse ont dû repousser de 2014 à 2015 leur tentative de tour du monde.
«Nous avons contracté une assurance auprès d’AXA Winterthur, pas bon marché d’ailleurs, pour nous protéger des risques liés à certaines phases de développement de l’avion, dit André Borschberg. C’est un défaut durant la phase d’assemblage du longeron qui a entraîné la rupture de cette pièce centrale.» Tout semble donc se jouer sur l’interprétation des termes inscrits dans le contrat. «Il y est stipulé que cette assurance couvre l’assemblage d’un prototype, abonde Bertrand Piccard. Or AXA dit qu’il ne s’agissait pas d’un problème d’assemblage, et qu’elle ne peut pas payer parce qu’il s’agit d’un prototype.»
Du côté du fabricant de l’élément en fibres de carbone, les chantiers Decision SA à Ecublens, son directeur Bertrand Cardis indique, sans vouloir en dire plus par respect pour le dossier, qu’«il n’y a pas eu de malfaçon dans la fabrication [de la pièce], menée selon les plans».
Autant Bertrand Piccard qu’André Borschberg sont convaincus de disposer d’un dossier solide. «Nous sommes sereins», dit ce dernier. «Notre souci est que ce genre d’affaire peut durer. Or pour nous, le temps presse un peu. Mais l’on devrait trouver un arrangement», conclut-il, en expliquant attendre la prochaine prise de position d’AXA. Contacté à ce sujet, son porte-parole Mark Hauser a répondu par courriel: «Pour des raisons de protection des données, nous ne pouvons pas fournir des informations sur nos clients ou des clients potentiels.»
Pour Bertrand Piccard, tout n’est pas sombre dans cette affaire. Le report d’un an du tour du monde a permis d’agender avec le HB-SIA le périple Across America, l’été dernier. Avec l’idée de convaincre aux Etats-Unis des sponsors importants pour boucler le budget de 130 millions de francs dans lequel il en manque environ 25. «Il y a eu des moments difficiles après le bris du longeron, dit-il. Mais lorsque l’équipe a compris ce qu’elle pouvait faire de cette crise, elle a réalisé ce que cela signifiait d’être innovateur, pionnier. Cela nous a donné une bonne bouffée d’énergie.»
Depuis lors en effet, «la construction du nouvel avion avance très bien», avise André Borschberg. Le nouveau longeron a été livré en juillet 2013 ; «il a récemment passé tous les tests de charge», avec une contrainte maximale de 4,9 tonnes. Toutes les pièces – structure, cockpit, fuselage, etc. – sont prêtes. Les cellules solaires, qui constituent elles-mêmes la surface portante des ailes, seront installées en décembre sur les dizaines de nervures en fibres de carbone. «Le gros de l’engin devrait être assemblé à Dübendorf en janvier, puis l’assemblage final se fera dans le hangar de Payerne au printemps», dit le directeur de Solar Impulse. Sans accroc d’ici là, l’avion HB-SIB devrait être dévoilé le 9 avril 2014 sur la base aérienne vaudoise.
De son côté, Bertrand Piccard a d’ores et déjà agendé un vol de 72 heures à son bord. Mais virtuel uniquement, puisqu’il se déroulera entre le 17 et le 20 décembre à Dübendorf, dans le simulateur prévu à cet effet. Le psychiatre y testera notamment les méthodes d’auto-hypnose qu’il entend utiliser pour se reposer durant les longues étapes du périple autour du monde.