Comment s’assurer que la sonde européenne ExoMars détecte – si elle y parvient – des formes de vie extraterrestre et non des micro-organismes qui auraient été importés par l’engin lui-même? Les risques de contaminer la planète rouge sont réels
Traquer la vie, passée ou présente, sur Mars! C’est l’objectif de la mission russo-européenne ExoMars, dont le premier élément a décollé sans souci lundi depuis Baïkonour, au milieu des steppes venteuses du Kazakhstan. Sous la coiffe du lanceur Proton: une sonde spatiale, TGO (Trace Gas Orbiter), qui tournera autour de l’astre, ainsi qu’un atterrisseur, Schiaparelli, chargé de valider les capacités européennes à s’y poser, en octobre (LT du 12.3.2016). Tout cela avant l’arrivée, en 2018, d’un rover pouvant forer à 2 m de profondeur et analyser les gravas récoltés.
Comment s’assurer de détecter des micro-organismes propres à la planète rouge et non redécouvrir des microbes terrestres que les vaisseaux auraient… pris en stop? Car lors de chaque mission se posant sur un autre astre, la crainte est la même: contaminer celui-ci, sans le savoir, avec des germes importés depuis la Terre. Pour l’éviter, un protocole strict de mesures est appliqué; ExoMars n’y a pas coupé. «Schiaparelli est aussi propre que le rover américain Curiosity», assure le Fribourgeois Albert Haldemann, responsable à l’Agence spatiale européenne (ESA) de l’intégration des instruments sur les plateformes martiennes.
Cette inquiétude est loin d’être saugrenue. Plusieurs études ont montré à quel point «une variété de micro-organismes est capable de supporter un périple dans le vide intersidéral», explique dans le National Geographic Catharine Conley, responsable de la protection planétaire à la NASA. Au fur et à mesure que s’établissaient ces connaissances, les scientifiques ont donc préconisé des procédures rigoureuses de propreté lors de la construction des véhicules spatiaux. «Toutes les agences spatiales les appliquent, dans le cadre du traité de l’ONU sur l’espace lointain», dit Albert Haldemann. «Y souscrire est un défi, mais c’est faisable, si c’est planifié dès le début», assure Gerhard Kminek, chargé de protection planétaire à l’ESA.
Moins de 300 000 cellules
Ce code de conduite impose aux agences soit de prouver que leur engin a très peu de chance de s’écraser sur l’astre visé, soit que, en cas de crash, la probabilité de contamination se situe sous une certaine norme. Pour TGO, l’ESA a ainsi démontré, sous l’œil d’experts indépendants, qu’il y a moins de 1% de chance que la sonde touche la planète d’ici à 2035, et moins de 5% qu’elle le fasse entre vingt et cinquante ans après le lancement. Pour l’atterrisseur, tous ces critères son encore plus stricts. Le standard international veut qu’il doive subsister moins de 300 000 cellules microbiennes viables sur l’entier d’un engin pour que celui-ci puisse être lancé. Par comparaison, un gramme de terre contient entre 1 et 100 millions de telles cellules.
Pour assurer cette absence de contamination, les instruments ont été développés dans des salles «blanches». Des sites, nettoyés au peroxyde d’hydrogène et où le personnel n’entre que désinfecté et en combinaison, qui deviennent plus propres que des salles d’opération. «Ces contraintes rajoutent de la complexité au travail des industriels», dit Albert Haldemann. «C’était une première pour les sociétés européennes impliquées», précise Gerhard Kminek.
Ensuite, pour fixer ces instruments sur TGO et Schiaparelli sans quitter cette «chaîne de propreté», des tentes stériles ont été érigées sur les lieux de montage à Cannes, puis à Baïkonour. L’équipement de la sonde a été nettoyé avec de l’alcool stérile (isopropyl à 80%). Tandis que l’atterrisseur a été exposé à un traitement de chaleur (110 à 125 °C) pour éliminer tout intrus bactérien. «Au final, nous étions 40% en-deçà du seuil des 300 000 bactéries tolérées», se félicite Gerhard Kminek.
Régulièrement, des prélèvements ont été faits sur ce matériel spatial. Pour quantifier la contamination, aussi appelée «fardeau biologique», ces échantillons sont placés en culture dans des boîtes de Petri, afin de voir quelles bactéries se développent; 3000 de ces tests ont été menés.
Tous les micro-organismes malgré tout repérés dans les salles blanches et sur les engins spatiaux sont recensés dans un catalogue, en libre consultation. De quoi permettre, en cas de mise au jour d’une forme de vie extraterrestre, de vérifier si celle-ci ne figure pas d’abord sur cette liste. En novembre 2013, cette initiative a permis une découverte surprenante: la même bactérie, alors inconnue, a été trouvée en 2007 puis en 2009 dans deux salles blanches pourtant très éloignées, l’une au Centre spatial Kennedy de la NASA, en Floride, l’autre à Kourou (Guyane), sur la base de l’ESA. Baptisée Tersicoccus phoenici, cette bactérie représente non seulement une nouvelle espèce, mais aussi un nouveau genre – la catégorie taxonomique au-dessus – sans que les scientifiques s’expliquent exactement cette découverte duale. «Nous voulons mieux comprendre ce genre de microbes, car leur capacité à s’adapter dans les salles blanches pourrait aussi leur permettre de survivre sur un engin spatial», commentait alors Parag Vaishampayan, du Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la NASA, et auteur de cette étude parue dans l’International Journal of Systematic and Evolutionary Microbiology.
Mars déjà contaminée?
Mais n’est-il pas trop tard pour s’inquiéter? Les premières sondes martiennes, construites avec peutêtre moins de précautions, n’ontelles pas déjà contaminé la planète rouge? «Les Vikings, dès 1970, de par leur construction métallique, ont pu être placées entières dans des cuves pour être stérilisées», dit Albert Haldemann. Dans les autres cas, tout au plus la contamination a-t-elle été locale sur Mars, pour autant que des organismes aient pu survivre au voyage interplanétaire, puis aient pu se disséminer et se multiplier. Car il «faut distinguer entre les micro-organismes qui peuvent survivre et ceux qui peuvent coloniser un endroit, avec pour cela le besoin de se reproduire», avise Kasthuri Venkateswaran, du groupe de protection biologique du JPL. «Et puis, reprend Albert Haldemann, ces premiers engins ne se sont pas posés dans les régions très sensibles où il pourrait y avoir de l’eau.»
Selon le planétologue fribourgeois, il est même possible qu’une contamination de Mars par des micro-organismes terrestres ne constitue pas une première: «Il y a deux milliards d’années, lors des impacts de météorites sur Terre, il se peut que plusieurs d’entre elles aient ensuite transporté des formes de vie sur la planète rouge, et que celles-ci s’y trouvent encore.»