Les films d’amateurs réalisés avec des portables permettent d’expliquer les types de coulées et leurs effets dévastateurs
Les massives chutes de neige dans les Alpes expliquent le nombre d’avalanches répertoriées ces jours, dont certaines provoquent des morts, comme lundi en Savoie. Qu’elles aient ou non une issue tragique, ces coulées, déclenchées artificiellement ou spontanées, sont de plus en plus capturées en vidéo par les téléphones portables de quidams, et se voient diffusées sur Internet. Des images dont le caractère amateur accentue le côté effrayant. «C’est justement ce qui donne un intérêt à [ce genre de] vidéo, ainsi les gens peuvent se faire une idée de la puissance d’une avalanche», résume un internaute, en commentant la séquence d’un torrent de neige traversant une route au-dessus de Saxon, le 15 janvier. Que racontent ces images? Les explications de deux spécialistes.
La première observation est que ces avalanches se classent – en gros – en deux groupes. Les premières génèrent un important nuage de neige poudreuse, qui évolue en volutes comme la nuée de cendres d’une éruption volcanique s’étendant vers le ciel; c’est ce que montrent les films tournés aux environs de Zinal, le 13 janvier, sur la route de Zermatt (à Randa), le 14, et surtout le 16 aux Diablerets, le village finissant par entièrement disparaître dans un cumulus de flocons gonflant au ras du sol!
Les secondes, comme celle de Saxon, ressemblent davantage à un lent mais puissant flot de lave blanche. «La forme et l’écoulement de l’avalanche dépendent essentiellement de trois paramètres: la densité de neige, sa teneur en eau, et la raideur de la pente», résume Robert Bolognesi, nivologue et directeur du bureau Meteorisk, à Sion.
«Or, très souvent, l’on se situe entre ces deux extrêmes: les avalanches contiennent autant une partie formée d’aérosols (neige poudreuse) que, cachée en dessous, une partie coulante», ajoute François Dufour, responsable de l’antenne valaisanne de l’Institut pour l’étude de la neige et des avalanches (SLF). Son équipe a d’ailleurs déclenché le 19 janvier une telle avalanche mixte, «typique de l’hiver et de la neige froide», dans la vallée de la Sionne, afin d’étudier ses paramètres dynamiques à l’aide de divers instruments. Et l’on y devine bien les deux composantes, qui ont chacune des effets divers.
Le «nuage de poudreuse», d’abord. «En pleine pente, plus que sa densité, qui n’est pas très grande, de l’ordre de 20 à 50 kg/m3, c’est sa vitesse de déplacement qui est dangereuse, le nuage raflant tout, en allant tout droit, sans se soucier des plis du terrain», dit Robert Bolognesi. Cette vitesse peut atteindre 250 km/h, soit autant que les rafales les plus fortes de l’ouragan Lothar en 1999. «Puis lorsque ce nuage vient, au bas de la pente, buter sur le versant opposé, il perd en force, se développe en hauteur, avec de possibles bourrasques à l’intérieur. Le souffle généré dans toutes les directions n’est plus que de quelques dizaines de km/h, de quoi impressionner, et faire tomber une personne peu stable, mais sans la mettre en perdition.»
Le risque est alors ailleurs: «Si l’on est pris dans un tel nuage, il faut s’obstruer les voies respiratoires, sous peine d’avaler quantité de particules de glace qui, en fondant dans les poumons, peuvent conduire à la noyade, dit François Dufour. Ce cas de figure n’est pas exclu, mais assez rare, car nous avons tous le réflexe de nous protéger.» Ainsi, les personnes assises dans les voitures sur la route de Zermatt, que l’on voit reculer sous la menace de la nuée neigeuse approchante, sont-elles peu en danger, selon le spécialiste.
Concernant les avalanches de neige lourde, c’est-à-dire à la teneur en eau plus ou moins élevée, comme celle de Saxon, le péril est d’une ampleur plus sournoise. «Ces coulées, typiques du printemps, peuvent aller plus lentement – quelques dizaines de km/h –, mais elles sont très denses, de l’ordre de 300 à 500 kg/m3», dit Robert Bolognesi. A titre de comparaison, l’eau a une densité de 1000 kg/m3, et la pierre de 2400. Dans ce cas, même à vitesse réduite, la pression exercée est énorme, de plusieurs tonnes par m2 de surface rencontrée. «Autant dire que rien ne résiste, ni un mur de maison, encore moins une voiture qui se trouverait sur la route de Saxon.» Sur cette vidéo, on entend d’ailleurs les arbres craquer au passage de la coulée.
Grâce à la popularité croissante des mini-caméras personnelles embarquées, de plus en plus de vidéos d’avalanches filmées de l’intérieur par leurs malheureux propriétaires à skis circulent sur Internet. Ainsi, images pétrifiantes à l’appui, dans lesquelles on le voit déclencher une large coulée avant d’y «nager», le freeride Théo Lange de Tignes raconte avoir vécu la peur de sa vie, le 5 janvier. «Dans 90% de ce genre d’accidents, le skieur fait se décrocher une plaque de neige, typiquement de 30 à 100 m de large, et 200 à 400 de long, dit François Dufour. L’avalanche reste le plus souvent sous la forme d’une coulée de surface, car le nuage d’aérosols n’a pas le temps de se développer, la pente n’étant pas assez longue. Le danger n’est pas moindre, car, ensevelie même sous peu de neige, la personne peut décéder plus ou moins rapidement par suffocation.»
«Les deux composantes de l’avalanche, l’écoulement de surface et le nuage de poudreuse, ont des impacts différents, reprend Robert Bolognesi. Si la pression exercée par le premier est ravageuse, elle l’est au niveau du sol. Par contre, le souffle du second à plusieurs mètres du sol peut aussi, par effet de levier plus grand, faire tomber des constructions élevées, comme des pylônes qui résisteraient au flux de neige superficiel.» C’est la raison pour laquelle les nivologues déclenchent des avalanches pour en étudier les paramètres caractéristiques, et améliorer sans cesse les cartes géographiques des dangers naturels. «Cela reste un problème complexe, tant les conditions de départ peuvent être variables», admet François Dufour. Les vidéos d’amateurs peuvent-elles être utiles à ces spécialistes? «Ponctuellement oui. Elles peuvent nous permettre de comprendre pourquoi l’avalanche s’est déclenchée, de mieux décrire l’état du manteau neigeux local, et ainsi d’améliorer le bulletin d’avalanches à venir. Cela pour autant que les images nous parviennent dans la journée.»