Alors que la navette spatiale doit tirer sa révérence ce vendredi 8 juillet, la NASA a mandaté quatre sociétés privées américaines pour développer son futur lanceur en orbite basse. Relevé d’étape, après le premier rapport d’évaluation
La navette spatiale doit décoller pour sa dernière mission ce 8 juillet à 15h26 GMT, si la météo le permet. «Ce n’est pas la fin des vols habités américains. Au contraire, nous nous réengageons pour assurer la prééminence américaine de l’exploration spatiale humaine pour les années à venir», a déclaré récemment Charles Bolden, l’administrateur de la NASA. Mais cette volonté de domination aura un prix, que l’Agence spatiale américaine est prête à payer au secteur privé. Le 28 avril, elle confiait à quatre sociétés, pour 270 millions de dollars au total, le mandat de développer le futur vaisseau qui permettra à la NASA d’accéder à la Station spatiale internationale (ISS). «Après 60 jours, nous avons atteint, avec ces quatre partenaires, les objectifs fixés», se réjouit Phil McAlister, responsable de ce «Commercial Crew Development program», qui a présenté le 1er juillet un premier relevé d’étape.
Deux sociétés développent chacune une capsule pour 7 astronautes qui serait installée sur une fusée Atlas V, datant de la fin des années 1990. La première, Boeing, prévoit cet été de tester un atterrissage avec airbags. L’autre, Blue Origin, de Jeff Bezos, fondateur d’Amazon.com laisse peu filtrer sur son projet.
La Sierra Nevada Corporation, elle, peaufine son DreamChaser, un corps portant ailé, sorte de mini-navette inspirée d’un modèle (le HL-20) esquissé dans les années 1990 déjà. Selon le manager Mark Sirangelo, «nous allons effectuer prochainement des premiers tests atmosphériques», soit un lâcher et un vol plané depuis un hélicoptère. Premier vol orbital prévu en 2014.
Mais celle qui mène le bal est bien SpaceX, la compagnie de l’entrepreneur Elon Musk. Avec ses lanceurs Falcon (1 et 9) basés au Kennedy Space Center, en Floride, elle a déjà réalisé plusieurs vols spatiaux. Le 8 décembre, elle a placé en orbite la capsule (vide) Dragon, qui a ensuite été récupérée dans l’océan. SpaceX prévoit cet automne de rééditer doublement cet exploit, et même de tenter un arrimage à l’ISS avec son vaisseau habitable. Mieux: elle vient de dévoiler son futur lanceur «Falcon heavy», capable d’emporter une charge de 53 tonnes. «Ce sera la fusée la plus puissante du monde», s’est réjoui Elon Musk.
D’ici aux cinq prochaines années, la NASA dispose de 6 milliards pour mener à bien cette initiative voulue en 2010 par Barack Obama. Un projet que tout le monde ne voit pas d’un bon Å“il. Le héros de la Lune Neil Armstrong le qualifie ainsi de «naïf et imprudent». Selon l’astronaute, il faudra des investissements considérables pour atteindre le niveau de sécurité requis. D’autres que lui craignent aussi que la concurrence que vont se livrer ces quatre sociétés fasse baisser trop les coûts au détriment de la fiabilité des engins développés et d’un manque de compétence dans leur entretien. Un accident annihilerait ainsi pour très longtemps les velléités américaines de disposer d’un nouvel accès propre à l’espace, se sont aussi effrayés certains membres du Congrès, qui a avalisé ce projet du bout des doigts tout en soulignant ses incertitudes.
«Tout cela est une affaire à hauts risques», admet Garrett Reisman, un ancien astronaute de la NASA qui vient de rejoindre SpaceX. «Je ne peux pas parler pour nos concurrents, mais le vaisseau que nous développons, même s’il ressemble de l’extérieur à de l’ancienne technologie, sera beaucoup plus moderne (en avionique) et sûr que la navette spatiale ou les Soyuz russes. Car son design est robuste et simple; nous avons peu de parties mobiles et nous effectuerons un minimum de séparations», des manÅ“uvres qui peuvent toujours causer des dégâts.
Pour l’astronaute suisse Claude Nicollier, cette idée de la NASA de confier l’accès à l’orbite basse à des sociétés privées pour lui permettre de concentrer son énergie et son argent sur le développement d’un nouveau lanceur d’exploration de l’espace lointain est juste. «Et même avec une mainmise moins directe, la NASA va surveiller de très très près la fiabilité des engins proposés.» «Avec cette concurrence, on a un peu l’impression de se retrouver à l’époque dorée de la course à la Lune, reprend Garrett Reisman. Pour tous les ingénieurs impliqués, c’est quelque chose de très excitant à vivre!»
Reste à évaluer si, au-delà du défi technologique, cette nouvelle course privée à l’espace débouchera sur un marché viable et prolifique. «Le grand intérêt serait de baisser assez les coûts d’un lancement en orbite pour créer un cercle vertueux: si les prix diminuent, davantage de personnes iraient dans l’espace, ce qui entraînerait des économies d’échelle et une intensification de la concurrence, laquelle ferait encore baisser les prix, et ainsi de suite», écrit David Freedman dans la revue Pour la Science. Mais l’analyste de se demander si le simple fait de baisser les prix attirera davantage de clients. Et si la rentabilité pourra être assurée. «Sans vision claire des bénéfices attendus au-delà des commandes de la NASA, l’avenir du secteur privé dans l’espace reste très incertain». «Il y a bien quelques autres pays qui sont intéressés à développer [avec nous] leur propre programme spatial», rétorque aussitôt John Elbon, programme manager chez Boeing.
A la NASA, Phil McAlister se réjouit prudemment des mois à venir: «Il n’y a aucune garantie de succès. Mais nous nous attendons à pouvoir aller vers l’ISS dès la moitié de cette décennie.»