L’Agence spatiale européenne et le Swiss Space Office ont signé vendredi à Zurich une déclaration pour mettre sur pied d’ici à mi-2016 une structure destinée à soutenir les jeunes pousses du spatial en Suisse. Dotée de 5 millions d’euros par ans pendant 5 ans, elle vise à donner naissance à dix nouvelles sociétés par an
Pour sa dernière visite en Suisse avant de quitter la direction générale de l’Agence spatiale européenne (ESA), en juin, Jean-Jacques Dordain est venu avec une faveur dans ses bagages: la signature d’une déclaration d’intention pour l’établissement en Suisse d’un incubateur de start-up liées au domaine spatial. Le document a été paraphé vendredi par Johann Schneider-Ammann, dans les ateliers de Ruag à Zurich. «C’est une étape supplémentaire de l’implication de la Suisse dans l’ESA, dont elle assure la coprésidence [pour trois ans]. Ce genre d’initiative est crucial si notre pays veut rester parmi les plus innovants», a souligné le conseiller fédéral en charge de l’Economie.
Un tel incubateur, baptisé ESA Business Incubation Center Switzerland, sera le dixième du genre en Europe créé par l’agence – le premier l’a été en 2006 en Bavière. «Nous adapterons le modèle en y appliquant un «filtre» suisse», précise Daniel Neuenschwander, chef de la division Affaires spatiales (SSO) au Secrétariat d’Etat à la formation, la recherche et l’innovation. Et de préciser que trois objectifs ont été posés: «Le premier sera de renforcer la présence de l’ESA sur sol suisse. Le second de contribuer à l’encouragement des jeunes entreprises helvétiques dans le spatial.» «Il en existe déjà une septantaine», dit Johann Schneider-Ammann, en rappelant avoir été directeur de Swissmem, l’Association patronale suisse de l’industrie des machines. «Nous en voulons dix de plus chaque année», a souhaité Daniel Neuenschwander. «C’est ambitieux, mais avec le savoir-faire qui existe en Suisse, c’est possible», a conclu le ministre. Troisième but: «Encourager les partenariats public-privé.»
L’initiative, qui devrait tabler sur un budget de 5 millions d’euros par an durant les cinq premières années, sera ainsi soutenue «au plus à 40% par la Confédération», dit le directeur du SSO. De son côté, l’ESA apporte «un peu d’argent, son savoir à travers des experts, sa technologie et des données», concernant par exemple la conceptualisation industrielle de satellites, des informations qui ne sont d’ordinaire pas publiques. Pour le directeur de l’ESA, cette démarche n’est pas anodine: «L’agence est passée d’un client de l’industrie spatiale à un vrai partenaire: [pour les gouvernements,] l’espace n’est plus une dépense, c’est un investissement, récompensé par de la croissance et des emplois.» Et d’expliquer qu’en Bavière, «1000 postes ont été créées en quatre ans; 12 start-up ont vu le jour chaque année, avec un taux de survie à trois ans de 80%.»
Jean-Jacques Dordain se dit heureux que ce dixième incubateur naisse en Suisse tant, «en plus d’en être un membre fondateur, elle est un élément majeur du succès de l’ESA. Il y a ici des capacités industrielles fortes, des scientifiques et des hautes écoles de classe mondiale.» C’est d’ailleurs à tous ces acteurs que l’appel est lancé.
«Le mémorandum signé pose les grandes lignes du projet, dit Daniel Neuenschwander. Une fois sa mise en œuvre affinée d’ici à l’été, sera lancée une mise au concours pour inciter tous les partenaires intéressés (financiers, industriels, institutionnels, académiques…) à participer et les voir proposer un lieu et une structure pour accueillir cet incubateur. L’idée est de s’intéresser au spectre entier du spatial, des technologies industrielles aux applications basées sur les données.»
La Suisse constitue déjà le terreau de moult entreprises liées à l’espace, «telles Ruag ou APCO à Vevey, souligne le directeur de l’ESA. Vous fabriquez aussi les meilleures horloges atomiques du monde!» Dans le domaine académique, le Swiss Space Center basé à l’EPFL collabore avec des start-up comme S3, à Payerne, qui développe un lanceur de microsatellites. Le parc scientifique de l’EPFL héberge aussi AP-Swiss, une structure aidant de jeunes pousses à se lancer sur le marché en pleine émergence des applications terrestres utilisant les données satellitaires. L’une d’elles, Geosatis, développe des bracelets GPS pour personnes purgeant une peine à domicile. N’y a-t-il pas là redondance avec le futur incubateur? «Complémentarité, rétorque Jean-Jacques Dordain. Il y a plusieurs recettes, mais un seul objectif: développer l’économie liée aux infrastructures et aux données spatiales.»
Daniel Neuenschwander, lui, voit surtout dans cette nouvelle initiative une chance supplémentaire pour la Suisse de développer un pan de son industrie. Et de préciser que «ni le SSO, qui va lancer la mise au concours, ni les entités liées, tel le Swiss Space Center, ne pourront participer à cette dernière». «Ce projet sera vraiment guidé par le marché, pas par les politiques», assure Johann Schneider-Ammann. D’aucuns imaginent ainsi bien que ce futur incubateur trouve une place sur le site de Dübendorf du futur Parc national d’innovation.
«La phase pilote de l’incubateur devrait commencer en juin 2016, conclut le chef du SSO. Et, s’il n’y a pas de délai de fin prévu, on devrait tirer un bilan après trois ans.»