Le génome de «Bos taurus» a été séquencé. Il compte 22 000 gènes, autant que l’homme. Les applications sont multiples: élevage, étude de l’évolution, recherches biomédicales
C’est Darwin qui serait content! En 1868 dans ses écrits, le naturaliste se demandait comment chaque district de la Grande-Bretagne était venu à posséder sa propre race de bovins. Aujourd’hui, il disposerait d’un outil précieux pour répondre à sa question: deux consortiums, comprenant des chercheurs des Universités de Lausanne (Unil), Genève (Unige), et de l’Institut suisse de bio-informatique (SIB), livrent le premier séquençage complet du génome de la vache. Ces travaux, publiés aujourd’hui dans la revue Science, ouvrent des portes sur l’évolution des mammifères, l’amélioration de la production de viande et de lait, la sélection de ruminants produisant moins de gaz à effet de serre, ou encore la recherche sur les pathologies humaines.
Il aura fallu six ans à 300 scientifiques de 25 pays pour arriver à leurs fins. «Le séquençage, soit la lecture pure des millions de «lettres» qui composent le code génétique de la vache, a été effectué au Texas», dit Alexandre Reymond, professeur associé à l’Unil. Avant d’imager: «Ensuite, c’est comme si l’on se trouvait face à un grand livre ouvert, celui du patrimoine intime du bovidé. Il restait à ordonner les pages, mettre la ponctuation, déterminer les mots que sont les gènes. Bref à expliciter toute cette information génétique. Des centaines de groupes de par le monde se sont réparti le travail.»
Et qu’ont-ils trouvé? Que Bos taurus possède 22 000 gènes, soit environ autant que Homo sapiens, qui en compte 20 à 25 000. «Et 75% de ces gènes sont retrouvés chez les autres mammifères», complète Evgeny Zdobnov, chercheur à l’Unige et au SIB, qui a fait la comparaison avec les génomes déjà séquencés d’autres animaux. «Ce paquet de gènes constitue donc le socle commun des mammifères, qui peut néanmoins varier un peu, dit Alexandre Reymond. Ce qui explique par exemple pourquoi l’homme a un sens olfa.»
Plus intéressant: «1032 gènes très différents ont été repérés.» De quoi comprendre pourquoi les ruminants ont quatre estomacs, un système immunitaire particulier, ou possèdent cette capacité inédite à transformer du fourrage maigre en du lait à haute valeur nutritive.
«Le génome des bovins est celui qui a été le plus réarrangé depuis que cette lignée a divergé des autres mammifères, dont l’homme», résume Harris Lewin, professeur à l’Université de l’Illinois, dans un commentaire publié dans Science. En disposer permettra aux chercheurs d’affiner la reconstruction de l’arbre de la vie, surtout la branche des mammifères. «Et par chance, un savoir-faire ancestral nous aide à comprendre comment les bovidés ont évolué si spécifiquement: la domestication», reprend Alexandre Reymond. Cette technique, basée sur une sélection des races pour une utilisation optimale dans l’agriculture, les a fait passer dans des «goulets génétiques», qui facilitent aujourd’hui des études rétrospectives.
Améliorer les méthodes d’élevage figure d’ailleurs au premier rang des applications des résultats dévoilés aujourd’hui. «Auparavant, on prenait le taureau le plus robuste, et la meilleure vache, et on espérait en tirer la meilleure descendance possible, schématise Alexandre Reymond. Aujourd’hui, on pourra procéder moins empiriquement», puisque l’on pourra suivre l’évolution des lignées. Ce que confirme Markus Hitz, responsable de la génétique au sein de la Fédération suisse d’élevage Holstein: «A ce jour, nous parvenons à garantir à 20-25% la valeur réelle d’un taureau en termes de reproduction. Et pour le vérifier, il faut procéder à un testage, c’est-à-dire à l’insémination avec son sperme d’une centaine de vaches, puis au suivi de leur descendance. Cela coûte 50 000 francs. Or avec les méthodes génétiques, couronnées par ce séquençage du génome, ce taux de garantie monte à 60%. C’est une grosse avancée!» Pour Pascal Monteleone, directeur de ladite fédération, «le danger consisterait toutefois à trop concentrer les meilleures lignées. Car on sait que le mélange et donc la diversité des gènes est très souvent favorable à l’expression des caractères polygéniques [liés à plusieurs gènes], qui déterminent entre autres la production laitière ou la fécondité».
Disposer du génome complet de la vache permettra par ailleurs, selon lui, de «cibler les caractères génétiques faiblement héritables, soit ceux qui sont fortement influencés par l’environnement de l’animal». De son côté, Liz Glass, immunologue à l’Institut anglais Roslin, explique que ces vastes travaux aideront à «identifier les similarités et les disparités entre les gènes déterminant le système immunitaire bovin, et ainsi de sélectionner les races les plus aptes à résister aux maladies infectieuses».
Bref, autant de recherches qui intéresseront tous les éleveurs du monde entier, surtout peut-être aux Etats-Unis, où un récent rapport du Département de l’agriculture a montré que les coûts de production liés au bétail croissent désormais plus vite que les revenus que les paysans peuvent en tirer. Il n’est dès lors pas étonnant de voir figurer, dans la liste des financements de ces études publiées dans Science, plusieurs entreprises de production de viande américaines. «C’est la première fois que le génome d’un animal a été séquencé en partie dans un but commercial, ne cache pas Alexandre Reymond. Pour les précédents organismes, primaient les intérêts purement scientifiques, ou biomédicaux.»
Mais là aussi, les attentes concernant ce dernier domaine seront satisfaites. Harris Lewin: «Avec le génome de la vache, puis bientôt celui d’autres animaux de rente (cochons, moutons, chèvres), nous pouvons pour la première fois sélectionner des modèles animaux pour l’étude des maladies humaines en fonction des traits génétiques, de l’organisation des chromosomes ou des facteurs de transcription de protéines les plus proches de ceux de l’homme. Cela aidera à augmenter la fiabilité de ces modèles, car des architectures génétiques communes permettront de mieux étudier la régulation des gènes liés à des maladies.»
Aussi vache soit-elle, l’une des bêtes à cornes les plus emblématiques de la Suisse n’a donc pas fini de rendre service à ses habitants.