Oui, les chercheurs se trompent, ce qui fait avancer la recherche. A Genève, ce week-end, la Nuit de la science est consacrée à cette thématique
Errare humanum est . Dès lors, «si l’erreur est humaine, comment la science est-elle possible?» Voilà un thème de dissertation au baccalauréat. «Parce que la science est une construction humaine», estime Jean Baudet. Ce philosophe des sciences a publié un ouvrage* sur cette vaste thématique, qui est le fil rouge de la 9e Nuit de la science, ces 7 et 8 juillet à Genève (lire l’encadré). «La science n’est pas un dogme. Il est normal que ses progrès s’accompagnent de petites erreurs de parcours. Et oui, les scientifiques se trompent de temps en temps. Parfois longuement, lourdement aussi. C’est le propre de l’élaboration de ce savoir humain.»
En eux-mêmes, le souci de précision ainsi que la complexité inhérente à la démarche de recherche et à l’établissement de ce savoir commun semblent exclure toute idée d’erreur. Visant un idéal de vérité, la science perdrait toute crédibilité si elle hébergeait des inexactitudes; pour preuve, une simple erreur dans une date, dans le rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC), faisant passer la disparition des glaciers himalayens à 2035 au lieu de 2350, a mis en porte-à-faux les milliers de climatologues défendant la thèse d’un réchauffement climatique.
Ennemi à abattre, l’erreur n’en est pas moins aussi un élément crucial qui rend justement possibles les avancées. Ce qui fait même dire à certains que la recherche et sa cascade de découvertes ne sont depuis toujours qu’une suite d’erreurs rectifiées les unes après les autres.
Jean Baudet cite comme premier exemple Platon, au Ve siècle av. J.-C., qui prétend qu’il y a cinq éléments, comme il y a cinq sens. A l’eau, la terre, l’air et le feu s’ajoute l’«éther», imaginé comme une espèce de l’air, la plus pure, située haut dans le ciel. Dans le Timée , le philosophe y va de sa démonstration en se basant sur la trouvaille des géomètres: il ne peut exister que cinq polyèdres réguliers, soit cinq figures inscriptibles dans une sphère, formées de faces toutes égales (tétraèdre, cube, octaèdre, dodécaèdre et icosaèdre). Ainsi, selon Platon, à chacun de ces polyèdres doit correspondre un élément…
«Cette première «erreur de la science» (mais peut-on vraiment parler de science?) va dominer la pensée scientifique et philosophique jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, écrit Jean Baudet. Elle va «bloquer» la réflexion. Pourquoi réfléchir à la constitution ultime de la matière si le divin Platon a résolu le problème de façon définitive?» La raison de cette erreur est simple, selon lui: «L’excès de confiance en la raison!»
Tout va changer avec l’arrivée de l’instrumentation: «Ce qui distingue Copernic de Ptolémée, Kepler d’Hipparque, Galilée d’Aristote, ce n’est pas le raisonnement, mais l’instrument: la lunette de Galilée par exemple», qui lui permet de confirmer la théorie de l’héliocentrisme.
Mais dans le sillage de l’instrumentation a suivi, jusqu’à aujourd’hui, un florilège de nouvelles erreurs possibles, de natures diverses. Il y a d’abord la simple erreur de calcul. Qui ne se souvient pas que Popeye avale des épinards parce que ce végétal est riche en fer? «En fait, une faute de frappe d’un scientifique serait à l’origine de cette idée reçue: il se trompa d’un rang en plaçant la virgule de la quantité de fer qu’il avait mesurée», a rappelé Jacques Ayer, nouveau directeur du Musée d’histoire naturelle de Genève, lors de la présentation de la Nuit de la science. Les épinards contiennent ainsi bien moins de fer que les haricots ou les lentilles, par exemple.
Croyant à une erreur de calcul, Einstein a aussi inséré un terme dans ses équations de la relativité lorsqu’il voulut décrire un Univers qu’il considérait faussement comme statique; l’on sait aujourd’hui que ce dernier subit une expansion accélérée.
On touche là à ce que les épistémologues appellent l’«erreur féconde», si fondamentale pour la science. Elle qui peut ouvrir de nouveaux champs de recherche, ou inciter les scientifiques, face à une théorie réfutée, à lancer des recherches pour justement trouver ce qui a été source d’erreur. L’un des plus beaux exemples est celui de la découverte en 1928, par accident, de la pénicilline par Alexander Flemming, qui s’égarait dans ses travaux sur les staphylocoques; les antibiotiques étaient nés.
«L’ultime type d’erreur est moins glorieux», poursuit Jacques Ayer. Il concerne la fraude, la filouterie ou la supercherie. Celle qui vise souvent à tout faire – quitte à user de malhonnêteté – pour trouver ce que l’on cherche. Au début du XXe siècle, la fameuse histoire de l’homme de Piltdown a ainsi fait couler beaucoup d’encre: l’on aurait mis au jour dans la campagne anglaise le fossile d’une mâchoire attribuée au… chaînon manquant entre le singe et l’homme. En 1959, des tests montrèrent que ce n’était qu’un canular paléontologique: le crâne était bien celui d’un homme (du Moyen Age), mais la mâchoire celle d’un orang-outan. L’origine exacte de la supercherie reste toutefois inexpliquée.
Plus récemment, en 2005, Hwang Woo-suk a eu moins de chance. Le biologiste coréen prétendait avoir réalisé le premier clonage humain. Mais sa fraude a été démasquée: il avait inventé une partie des résultats.
Que faut-il retenir? «La science peut se tromper, dit Jean Baudet. Mais elle est surtout aussi capable de constater qu’elle se trompe. Elle peut corriger ses erreurs.» C’est même ce qui la fait avancer: «La science n’est pas vraie. Elle est vérifiable, écrit-il. La science n’est pas parfaite. Elle est perfectible. La science n’est pas définitive. Elle est en constante construction. Il existe d’autres discours que la science, qui eux annoncent avec force et véhémence qu’ils possèdent la Vérité, la très Sainte et Haute Vérité. Vous en avez probablement entendu parler et je n’insiste pas.»
Et de conclure, comme en résonance à la question de baccalauréat initiale: «Je laisse le mot de la fin à l’indépassable Emmanuel Kant, l’homme qui a osé critiquer la raison à l’aide de la raison, et qui affirme: «Ce qui rend l’erreur possible, c’est l’apparence suivant laquelle le simple subjectif est pris pour l’objectif.» Bref, prendre ses désirs pour des réalités…»
* Curieuses histoires de la science – Quand les chercheurs se trompent. J. Baudet, Editions Jourdan (2010).