Les femmes qui prennent une pilule contraceptive oestro-progestative ont des risques plus ou moins élevés de développer une thrombose, d’autant plus si le produit pharmaceutique est de 3e ou 4e génération. La société Gene Predictis vient de valider, sur une cohorte de 1600 femmes, un test génétique permettant de connaître ce risque. Cette avancée, dont les données scientifiques restent à publier, fait débat parmi les gynécologues, sociétés pharmaceutiques et caisses maladies.
Toute médaille a son revers. La mise au point de la pilule contraceptive, en 1956, a constitué une immense avancée. Même si celle-ci est accompagnée d’effets secondaires plus ou moins fréquents et sérieux. Ainsi, les produits dits de «3e et 4e» génération induiraient un risque plus élevé de thromboses veineuses profondes. Cette pathologie peut générer de graves complications, comme l’a mis en évidence, en 2008, le cas très médiatisé d’une adolescente schaffhousoise, vivant depuis avec paralysie et un handicap qu’elle impute à la prise de la pilule nommée Yasmin. Installée au Parc scientifique de l’EPFL, la société Gene Predictis affirme avoir trouvé la parade: elle a validé cliniquement un test génétique permettant d’identifier les femmes à risques de développer une thrombose lorsqu’elles sont placées sous contraception orale. Selon ses développeurs, ce test médical, remboursé par la plupart des caisses maladies, complète grandement l’approche traditionnelle des médecins.
400 cas de thrombose par an en Suisse
Dans le monde, plus de 100 millions de femmes se voient prescrire la pilule. En Suisse, parmi les 350 000 qui y recourent, plus de 400 présentent, chaque année, une thrombose. Selon Gene Predictis, en Europe, le nombre de cas annuels est estimé à 22 000, qui génèrent des coûts de l’ordre de 200 millions d’euros pour les systèmes de santé.
Lorsqu’ils prescrivent une pilule, les médecins tiennent compte de cette problématique, en demandant à leur patiente si elle présente certains facteurs pouvant augmenter le risque de thrombose, qui est en moyenne, pour des femmes ne prenant pas la pilule, d’environ trois cas sur 10 000. Ces facteurs incluent: âge supérieur à 35 ans, tabagisme, antécédents familiaux, surpoids, diabète, hypertension, migraines ou maladies cardiaques valvulaires. La prescription même d’une pilule accroîtra ce risque d’un facteur 3 à 5, selon les études et les produits. Ce qui reste largement admissible, selon les instances de santé publique; il faut savoir que le corps d’une femme vivant une grossesse ou en situation post-partum présente naturellement, du fait des changements hormonaux, un risque estimé à vingt fois plus élevé de souffrir d’une thrombose.
Test de dépistage d’un nouveau genre
«Jusque-là, les médecins devaient se fier à leur appréciation de l’état de santé de leur patiente avant de lui prescrire une pilule, explique Joëlle Michaud, directrice scientifique de Gene Predictis. Désormais, ils bénéficieront, avec notre test, d’un outil aux bases objectives et scientifiques.» Une première version de ce dernier est sur le marché depuis 2013 pour un coup de 270 francs. La société vaudoise assure aujourd’hui l’avoir validé grâce à une vaste étude de cohorte, ayant inclus plus de 1600 femmes sous contraception orale, et dont la moitié a développé une thrombose. Chez toutes, une analyse des variations génétiques (polymorphismes) a été effectuée. «Nous avons mis au point un algorithme ciblant une série de polymorphismes qui prédisposent à la formation de caillots en cas de prise d’une pilule», détaille Joëlle Michaud. Combinés aux facteurs comportementaux et environnementaux ainsi qu’aux types de molécules présentes dans les contraceptions hormonales, ces facteurs génétiques permettent au final de quantifier plus précisément le risque de thrombose. Résultat: «En comparaison avec le dépistage traditionnel actuel (un questionnaire médical basé donc sur l’âge, l’état de santé et l’historique familial), notre test a permis d’identifier correctement huit fois plus de femmes en ayant développé une», résume la directrice scientifique.
Il existe au moins un autre test similaire, produit par le laboratoire allemand ProGenom, qui est disponible en Suisse, mais qui ne teste que deux polymorphismes, liés à la thrombose en général.
Limiter les effets secondaires
Cette avancée lausannoise s’inscrit dans deux champs d’exploration médicale très actuels. Le premier vise à réduire les effets secondaires des médicaments. Le test de Gene Predictis permettra peut-être de redorer le blason des pilules de 3e et 4e générations, que l’on sait présenter moins d’effets secondaires, mais qui étaient tombées en disgrâce. Ces dernières années, en Suisse comme à l’étranger, ces pilules ont suscité le dépôt de multiples plaintes de patientes les considérant comme la cause d’embolie ou de thrombose subies. En France, le Ministère de la santé ayant décidé en 2013 de ne plus les rembourser, leur vente a baissé de 45%. Et la Société suisse de gynécologie, elle, recommande de privilégier les pilules de 2e génération lorsque c’est possible. Joëlle Michaud en est convaincue, «ce test étant remboursé, les femmes qui en auront pris connaissance vont davantage le demander à leur médecin» – une démarche qui reste la seule possible pour en bénéficier.
Vers une médecine personnalisée
Quant au deuxième domaine concerné, il s’agit de la médecine personnalisée ou de «précision», qui ambitionne de soigner les patients en fonction de leur bagage génétique, et dans lequel Gene Predictis affirme être pionnière depuis 2005.
Avant tout, ce test «est une magnifique avancée pour la santé des femmes», estime Thierry Pache, gynécologue et président du conseil d’administration de Gene Predictis: «Plus de 5%, des femmes portent des variations génétiques qui les prédisposent à une thrombose. Un tel outil est indispensable pour continuer à prescrire la pilule de la manière la plus sûre. Dans cette optique, Pill Protect est un test que beaucoup de praticiens espéraient, l’espoir est maintenant réalité».
Trois experts jugent le test
Qu’en pensent les spécialistes? Que vaut ce test? «On ne peut que se réjouir si un nouveau test permet de réduire la mortalité et la morbidité chez les femmes prenant la pilule, surtout celles à risque, dit Vincent Mooser, directeur de la Biobanque institutionnelle de Lausanne, au CHUV. Ce test – qui plus est, conçu en Suisse – serait une nouvelle confirmation des promesses de la médecine personnalisée.» Cela dit, «les données de l’étude de cohorte n’ont pas été publiées. Il est donc encore difficile de se prononcer sur la réelle validité de ce test.» «Nous allons publier ces données, répond Goranka Tanackovic, directrice de Gene Predictis. Mais, nous considérions plus urgent de mettre d’abord cette nouvelle solution à disposition des médecins. Nous préparons aussi un brevet, d’où une confidentialité sur ces données. Mais nous les montrons volontiers aux gynécologues intéressés.» Pour Stylianos Antonarakis, professeur au département de médecine génétique de l’Université de Genève, «cette chronologie d’actions n’est pas habituelle… A ce stade prématuré, je ne recommanderais donc pas le recours à ce test. Mais si les données quant à son efficacité sont divulguées et validées, il constituera une avancée intéressante.»
Des résultats fragiles
Par ailleurs, autant pour Vincent Mooser que pour Stylianos Antonarakis, ce nouveau test reste fragile, car il repose sur une étude dite «rétrospective», remarque Vincent Mooser. Autrement dit, le test génétique a été appliqué sur 1600 femmes alors que les scientifiques savaient que la moitié d’entre elles avaient connu une thrombose. Il s’agirait aussi de mettre sur pied une étude prospective, pour tenter de vraiment prédire la survenue de thrombose, «afin de déterminer si ce test conduit bien à une réduction du nombre de thromboses liées à la prise de la pilule», dit le médecin du CHUV.
«L’absence de conclusions d’études prospectives est ce qui a contraint certaines sociétés proposant de tels tests génétiques à repenser leurs activités, comme 23andMe aux Etats-Unis», ajoute Stylianos Antonarakis. «Nous avons eu une belle opportunité de faire cette étude rétrospective, à l’échelle internationale et ce type d’étude reste nécessaire, dit Goranka Tanackovic. Nous sommes aussi intéressés par une étude prospective et sommes ouverts aux collaborations, en Suisse ou ailleurs.» Vincent Mooser tient à positiver: «Les éléments déjà à disposition semblent rassurants, et ce test va bénéficier à certaines femmes. Cela dit, outre son intérêt clinique, il devra aussi montrer son bénéfice médico-économique.»
Au fait, quel est le réel rôle des gènes dans tout le problème? Pour Vincent Mooser, «ce test pourrait donner une fausse assurance en faisant oublier les autres facteurs de risques de thrombose aux femmes sous pilule – fumer, prendre du poids, etc. Les gènes ont certainement un rôle contributif à ce problème, mais il faut le relativiser». Goranka Tanackovic insiste: «Sans inclure l’aspect génétique, le pouvoir prédictif du test est faible».
Des causes multigénétiques
Médecin-chef en gynécologie à l’Hôpital cantonal de Fribourg, Anis Feki soulève un autre point: «L’intérêt général pour un tel test est là. Mais le déclenchement de thrombose chez les femmes sous contraceptif a des sources multigénétiques. Le test livre un score de risque plus ou moins haut basé sur les altérations de plusieurs gènes. De plus, même si un gène présente une mutation, ce n’est pas pour autant que celle-ci s’exprime forcément pour induire une pathologie. Comment vont réagir les femmes à qui l’on dit que quelques gènes seulement sont altérés? Même avec un score de risque bas mais avéré, vont-elles radicalement se détourner des pilules avec œstrogènes, qui peuvent induire ces thromboses?» Goranka Tanackovic estime que «les femmes ne vont pas tourner le dos à leur pilule.» Et de rappeler que «la prendre ou pas restera une décision à discuter avec le médecin, qui aura toujours autorité dans son évaluation. Avec le test, ils disposent d’un outil objectif pour mieux quantifier le risque.» Selon Joëlle Michaud, directrice scientifique de Gene Predictis, il est vrai que «ce test devra d’abord être accepté par les médecins, qui n’ont pas encore l’habitude de travailler avec des outils génétiques en prévention.»
Comment vont réagir les firmes pharmaceutiques?
Enfin, comment les firmes pharmaceutiques, sur la sellette depuis les récentes affaires avec les pilules de 3e et 4e générations, accueillent-elles ce test? «Maintenant qu’il est possible de dépister les femmes à risques, cela pourrait constituer un levier pour elles pour relancer la promotion de ces produits présentant aussi des avantages» en terme d’effets secondaires, admet Joëlle Michaud, qui précise que Gene Predictis a mené son étude de validation en totale indépendance. Anis Feki, lui, estime que cet aspect des effets secondaires est mineur, «tant chaque femme doit trouver avec son médecin la pilule qui lui convient le mieux.» A l’inverse, le médecin-chef postule que ce test, parce qu’il permettrait de détecter beaucoup plus de femmes à risques, pourrait porter un coup aux pharmas, qui produisent beaucoup plus de pilules œstro-progestatives (impliquées dans cette problématique des thromboses) que de pilules sans œstrogènes. Contacté par Le Temps, l’un de ces fabricants de contraceptifs, Bayer (Suisse), reste évasif: «Faute d’informations suffisantes, Bayer ne peut pas se prononcer sur le test génétique cité, dit sa porte-parole Liliane Pieters. Comme les femmes présentent des réponses très diverses aux différents types de contraceptifs, il leur est souhaitable d’avoir le choix. Les médecins prescripteurs connaissent leurs patientes et ils savent les conseiller au mieux.» De toute manière, conclut Stylianos Antonarakis, «les sociétés pharmaceutiques ne vont pas bouger avant que les instances de santé publique ne donnent leurs recommandations.»