La fièvre hémorragique a déjà fait 67 morts sur 95 cas depuis janvier, surtout en Guinée. Les spécialistes craignent la panique, qui complique leur travail sur le terrain. Les explications de Jean-Clément Cabrol, directeur des opérations de Médecins sans frontières, qui a déjà envoyé une quarantaine de collaborateurs sur place
Dans le sud de la Guinée surtout, une flambée de fièvre hémorragique Ebola a causé, selon les chiffres officiels, au moins 67 décès sur 95 cas avérés depuis janvier. Des cas suspects ont été annoncés dans la capitale de ce pays africain, puis au Canada, au Liberia et en Sierra Leone, sans pourtant avoir été au préalable confirmés – le ministre canadien de la Santé a finalement indiqué mardi que le patient nord-américain, qui rentrait du Liberia, n’était pas porteur du virus mortel.
Du côté des équipes de soins sur place, on dénonce cette précipitation à voir la maladie dans chaque poussée de température, avant que soient menées les vérifications d’usage. Le point à Genève avec Jean-Clément Cabrol, directeur des opérations de Médecins sans frontières (MSF), qui a déjà déployé une quarantaine de spécialistes en Guinée.
Le Temps: Comment analysez-vous ces annonces prématurées?
Jean-Clément Cabrol: Il est normal, pour un professionnel de la santé, de suspecter une contamination au virus Ebola chez quelqu’un qui rentre de la région concernée avec des symptômes typiques de cette maladie (fièvre, maux de tête, puis vomissements, diarrhées et saignements). Il est, par contre, moins normal que ces cas alors seulement «suspects» soient rendus publics sans vérification préalable que l’Ebola est bien présent. Si l’impact est mineur au Canada, ces annonces – dont je ne m’explique pour l’instant pas l’origine, qui est probablement involontaire – peuvent créer de la panique là où sévit vraiment le virus. Avec pour conséquence de rendre le travail d’identification des cas suspects plus ardu, les personnes concernées se dispersant.
– Quel est le mode de contagion?
– Le virus ne se transmet pas par voie aérosol, comme la grippe, mais par le biais des sécrétions et liquides corporels (sang, urine, sueur, lait maternel…). Les personnes qui entrent en contact étroit avec ces fluides d’un patient atteint peuvent être contaminées: les principaux concernés sont donc les membres d’une même famille et leurs proches, ainsi que le personnel dans les postes de soins. Ces derniers sont souvent mal équipés et peuvent devenir des lieux de contamination privilégiés du virus.
– Comment procédez-vous concrètement sur le terrain?
– Le but est de localiser rapidement, grâce aux données connues et aux indications des postes de santé, les cas suspects et de confirmer par l’analyse de prélèvements qu’ils sont bien infectés. Puis de les mettre en isolement et de soigner les symptômes et les possibles pathologies associées – il n’existe ni vaccin, ni traitement contre le virus lui-même, et l’infection cause la mort dans 25 à 90% des cas. Il s’agit aussi de suivre de près toutes les personnes, appelées «cas-contacts», qui ont approché les malades. Lorsque ces mesures systématiques sont mises en place, l’extension de la zone d’épidémie peut être bien limitée, normalement en un ou deux mois; ce temps nécessaire est en effet lié à la période d’incubation du virus, qui est de 2 à 21 jours.
– Quelles sont les difficultés que rencontrent vos équipes?
– Je l’ai déjà dit: la panique qui peut disperser des populations parmi lesquelles se trouvent les malades ou les personnes qui le sont potentiellement. Le personnel soignant envoyé sur place doit faire attention à sa manière de communiquer au sujet de l’épidémie. D’autant que ces spécialistes travaillent en combinaison de protection dans les villages. Ces soignants doivent aussi tenir compte de la culture des sociétés locales, concernant notamment les rites funéraires, et bien expliquer en quoi la manipulation des cadavres peut s’avérer dangereuse. C’est pourquoi, pour ce genre de mission, grâce à l’expérience acquise, nous faisons appel à des spécialistes et à des collaborateurs – dans ce cas précis, nous avons envoyé un anthropologue – ainsi que des collaborateurs qui ont une grande expérience, qui peuvent encadrer ceux qui accomplissent leurs premières missions.
– Les flambées de fièvre Ebola ne sont pas rares en Afrique. En 2012, de nombreux cas ont été signalés en Ouganda et en République démocratique du Congo (RDC), faisant au moins 200 morts. Faut-il s’inquiéter particulièrement de ce qui se passe en Guinée?
– L’Ouganda et la RDC sont connus comme des régions touchées par l’Ebola. C’est, par contre, la première fois qu’on détecte le virus en Guinée, sans qu’on puisse pour l’instant l’expliquer. Mais la zone touchée reste circonscrite au sud-est du pays, une région forestière. Le virus est présent en Afrique et ressurgit de temps à autre depuis 40 ans; il y a déjà eu environ 1500 morts sur 2200 cas. En principe, malgré cette récurrence, il ne faut pas encore s’inquiéter davantage cette fois que par le passé. Cela dit, toute épidémie est a priori préoccupante. En Guinée, au stade actuel, son évolution est à suivre, il faut rester réalistes et mettre en place les mesures pour l’endiguer.