L’équipe de Julien Beck, de l’Université de Genève, a découvert en Grèce ce qui pourrait être le plus ancien site de production de pourpre connu à ce jour, datant du 3e millénaire avant Jésus-Christ. Cette découverte pourrait réécrire l’histoire de ce pigment rare, symbole de prestige et de pouvoir, utilisé par les élites depuis des millénaires, mais pas seulement…
Que ce soit pour habiller les papes, les évêques, les empereurs romains (qui en imposant l’usage exclusif) ou les rois, la couleur pourpre a toujours été réservée aux élites. Synonyme de majesté, de noblesse et de pouvoir.
Ce pigment très rare et donc très cher est issu de la glande d’un mollusque. Mais la recette de fabrication s’est perdue au fil des siècles. Pourtant, des passionnés tentent de faire revivre cet art, comme Mohamed Ghassen Nouira à Ben Arous en Tunisie. « Selon l’espèce, il faut entre 80 et 100 kg d’escargots pour produire un gramme à un gramme et demi de pigment. Un gramme permet de teindre 7 à 8 grammes de soie ou de laine. Donc c’est très compliqué », explique-t-il mercredi dans le 19h30 de la RTS.
Cette teinture a également été utilisée en peinture. La plus ancienne utilisation a été certifiée sur des fresques d’Akrotiri, sur l’île de Santorin, environ 1500 ans avant Jésus-Christ. Des sites de productions très succincte ont aussi été daté d’environ 2000 ans avant Jésus-Christ. Les plus connus sont liés à la ville de Tyr.
Preuves de la production de pourpre antique
Mais grâce à Julien Beck, archéologue de l’UNIGE, cette histoire pourrait être réécrite. Car lors de fouilles sous-marines en Grèce, dans des couches datant de 3000 ans avant Jésus-Christ, son équipe a découvert des coquillages probablement utilisés pour produire de la pourpre. Ce sont les plus anciens coquillages connus pour cette fonction. Et c’est là l’un des résultats majeurs de son expédition Terra Submersa.
Cette expédition, menée il y a 10 ans dans la baie de Khilada, dans le Péloponnèse, visait initialement à reconstituer les paysages préhistoriques du Golfe argolique, submergés par la montée de eaux depuis la dernière glaciation. Elle est racontée dans l’exposition Immersum, visible jusqu’au 16 février 2025 dans la salle d’exposition de l’Université de Genève.
Au cours de ces recherches, une ville submergée de l’Age du Bronze a été découverte. Et au pieds des murs de celle-ci : des coquillages du genre Murex. « La plupart de ces coquillages n’étaient pas écrasés, mais perforés à un endroit particulier: là où se trouve la glande dont on extrayait la pourpre. Ce qui tend à prouver qu’ils étaient récoltés dans ce but-là », explique Julien Beck.
Repenser l’origine de la pourpre
Avant de pouvoir affirmer cette conclusion avec certitude, et la publier dans des revues scientifiques, il s’agit d’abord d’exclure les autres hypothèses d’utilisation possibles de ces coquillages. Comme le fait qu’ils aient pu servir de nourriture, ou alors d’appâts pour la pêche. Pour y parvenir, Julien Beck s’est adjoint les services d’une spécialiste mondiale, Catherine Perlès, professeure émérite à l’Université Paris-Nanterre.
« L’hypothèse alimentaire est relativement facile à écarter, explique-t-elle à la RTS. En effet, les murex, ce sont des mollusques, comme des gros bulots. Et pour les manger, il suffit de le plonger dans l’eau bouillante ; pas besoin de les casser. » Quant à l’utilisation comme appât de pêche : « Nous allons mener de nouvelles expériences cet été [2025]. Mais il semble, selon nos premières observations, que pour extraire de la coquille la chair qui pourrait servir d’appât, il faille faire plus que simplement une perforation latérale, comme on le voit sur nombre des coquillages retrouvés. Si cela se confirme, cela pourrait permettre d’exclure cette hypothèse également. »
La spécialiste estime que cette découverte est très importante et suggère de repenser l’origine de l’utilisation de la couleur pourpre. « Ce n’était pas forcément une couleur de prestige réservée aux élites. Elle a pu, au départ, être une production domestique ou villageoise », affirme-t-elle.
Cela prouverait que ces populations très anciennes maîtrisaient déjà un savoir technique délicat: celui de teindre les étoffes pour les rendre plus chatoyantes et qu’elles n’étaient pas nécessairement réservées à une élite, du moins dans un premier temps.