Nommé après la crise de l’été 2014, le médiateur du Human Brain Project Wolfgang Marquardt livre ses recommandations pour faire avancer cet ambitieux projet de modélisation du cerveau humain
Il est le «casque bleu» du cerveau virtuel européen. A 58 ans, le professeur Wolfgang Marquardt dirige le prestigieux Centre de recherche Jülich, en Allemagne. A l’été 2014, il a été nommé médiateur du «Human Brain Project» (HBP), cet ambitieux projet de modélisation du cerveau humain dirigé depuis l’EPFL. Un pari à 1,2 milliard d’euros, sur dix ans, financé en partie par l’UE.
Car en juin 2014, ce «crâne en puissance» était secoué de violentes convulsions. Plus de 750 scientifiques alertaient la Commission européenne sur les risques «d’échec majeur» du projet. Parmi les raisons invoquées: la brutale éviction de tout un pan du programme initial, les neurosciences cognitives. Un évincement décidé par les coordinateurs du HBP, apparemment sans concertation avec les intéressés. D’où la seconde critique: la monocratie de son mode de gouvernance, jugé peu ouvert aux remarques.
Depuis septembre 2014, le professeur Marquardt anime le processus de médiation, confrontant des points de vue divergents. Son objectif: émettre des recommandations pour la suite du projet. Chercheur à l’Inserm à Lyon, Henry Kennedy a participé à cette médiation. Plutôt critique à l’égard du HBP – il a signé la lettre ouverte à l’UE en juin 2014 – il reconnaît être «assez admiratif de la façon dont Wolfgang Marquardt a agi. Avec une grande expertise, il est parvenu à établir un consensus.» La publication du rapport de médiation étant imminente, entretien avec ce fin diplomate.
Le Temps: Dans quelle mesure le processus de médiation est-il indépendant? Vous êtes à la tête du Jülich Center, une institution qui a des intérêts notables dans le HBP…
Wolfgang Marquardt: Cette médiation est un processus aussi indépendant que possible. Bien sûr, la plupart de ceux qui y particidrpent sont concernés par le sujet. Pour ma part, j’ai été choisi comme médiateur en tant que personne, et non en tant que directeur du Jülich Center. J’essaie de mener mes deux missions d’une façon aussi indépendante que possible.
– Comment avez-vous choisi les experts de cette médiation?
– J’ai nommé aussi bien des membres du HBP que des scientifiques représentatifs de leur communauté qui s’étaient montrés critiques vis-à-vis du projet. J’ai aussi choisi des experts impliqués dans de grands programmes en cours dans d’autres domaines scientifiques, pour leur expérience en matière de gouvernance et de communication. Ils ont travaillé dans un esprit très constructif. Ils ont vite convergé sur les grandes lignes. Mais dans la formulation finale des recommandations, les divers points de vue ont conduit à d’intenses discussions, parfois à des controverses.
– Souvent jugé très centralisé, le mode de gouvernance du HBP est une critique récurrente du projet. Est-il vrai que vous recommandez de profonds changements à cet égard?
– Oui. Car après une phase d’initiation, ce projet va entrer dans sa phase opérationnelle: elle requiert un contrôle et des équilibres différents, une claire séparation des rôles et un mode particulier de management exécutif sur projets. L’enjeu est de développer des plateformes complexes de technologies de l’information et de la communication. Nous recommandons ici la mise en place d’une responsabilité distribuée entre un certain nombre d’institutions européennes. L’EPFL sera l’une d’entre elles mais elle ne sera plus la seule. Cette infrastructure devra aussi avoir une couverture internationale. Pourquoi cette mesure? Pour garantir la pérennité des outils mis en place dans le cadre du HBP, au-delà des dix ans de durée de ce projet.
– La faible part des neurosciences expérimentales dans le HBP est une seconde critique à l’encontre de ce projet. Que recommandez-vous ici?
– Les neurosciences cognitives et intégratives doivent être fortement représentées dans la seconde phase du projet. Elles constituent un des piliers importants du HBP, pour démontrer la valeur ajoutée des plateformes dans la compréhension des mécanismes fondamentaux qui gouvernent le fonctionnement du cerveau. Ce sont elles qui fourniront des modèles concrets (telles l’étude des systèmes d’orientation chez la souris ou l’origine du langage chez l’homme…) pour valider la pertinence des outils développés, en matière de robotique ou d’ordinateurs neuromorphiques notamment. La médiation recommande de réintroduire les neurosciences dans le HBP, sous la forme de modules de travail regroupés dans une division transversale. Les neurosciences doivent aussi conserver leur droit de vote et leur siège au sein du bureau des directeurs du HBP.
– Initialement «vendu» comme un projet visant à accroître les connaissances sur le cerveau humain, ce projet n’a-t-il pas dérivé vers un projet purement technologique?
– Le HBP ne sera un succès que si les neurosciences et les technologies de l’information et de la communication parviennent à établir d’intenses collaborations, synergiques et équilibrées. La mise en œuvre d’expériences spécifiques, en neurosciences, est indispensable pour alimenter les plateformes en connaissances nouvelles, et pour développer des outils très sophistiqués ayant une réelle valeur scientifique.
– Votre rapport sera-t-il modifié, après son examen par les directeurs du HBP?
– Aucun changement majeur n’y sera apporté. Mais nous ne pouvons pas publier ce rapport avant que les directeurs du HBP aient pris une décision concernant nos recommandations. La médiation considérera qu’elle a réussi sa mission si toutes ses recommandations sont mises en œuvre dans la suite du projet. Etablies après de très nombreuses discussions avec des scientifiques d’opinions variées, nos recommandations sont raisonnables. Certaines seront peut-être difficiles à «digérer» par ceux qui se sont énormément impliqués dans ce projet, mais j’espère vraiment que chacun agira dans un esprit constructif pour la suite du projet.
– Comment le succès du HBP sera-t-il évalué?
– Par ses publications scientifiques, tout d’abord. Mais aussi par la mesure de l’utilisation effective de ses plateformes technologiques, par la communauté des neurosciences. Il faudra également montrer que cette utilisation conduit à des résultats scientifiques qui n’auraient pas été obtenus autrement. On dit parfois que le futur succès de ce projet est entre mes mains. Mais je suis convaincu qu’il repose non seulement sur les coordinateurs du HBP et ses treize directeurs de division, mais aussi sur la centaine de scientifiques responsables des «modules de travail» du projet. Que tous prennent ici leurs responsabilités.
Le trio à la tête du Human Brain Project dissous
Olivier Dessibourg