Selon le modèle actualisé fourni par le Service sismologique suisse, «les séismes sont un danger à prendre au sérieux» sur l’entier de notre territoire. Ce nouvel outil permet toutefois une évaluation «plus fiable» de leur survenue, et se veut une référence pour les normes parasismiques définies par les ingénieurs architectes
La nouvelle carte des aléas sismiques en Suisse, publiée le 1er septembre, a les couleurs de l’automne: du jaune au rouge foncé, voire au violet! Elle se distingue de la précédente, datant de 2004, qui montrait le Plateau sous des tons verdoyants. Est-ce à dire que la probabilité d’un séisme majeur a dramatiquement augmenté? «Non», dit d’emblée Stefan Wiemer, directeur du Service sismologique suisse (SED). En modifiant les couleurs de son échelle graphique (donc en se départissant des tons verts/bleus plutôt «inoffensifs» pour privilégier des fards «chauds»), les auteurs de ce document de référence, devenu «nettement plus fiable», ont voulu souligner un fait: un tremblement de terre, puissant voire désastreux, peut se produire à tout moment, n’importe où en Suisse! Le séisme d’une magnitude de 4.2 qui a ébranlé en 2012 Zoug l’a rappelé.
Chaque année, le SED enregistre entre 500 et 800 séismes. Dix à quinze sont ressentis par le public. Seul un tous les 10 à 20 ans crée des dégâts sérieux, et une catastrophe survient tous les 50 à 150 ans. Mais «aucune région n’est hors d’atteinte, a insisté Stefan Wiemer. Les séismes sont le danger naturel pouvant provoquer le plus de dommages.»
Impossible à ce jour de prédire avec exactitude où et quand la prochaine secousse aura lieu. Cela n’empêche pas les spécialistes du SED, basé à l’EPF de Zurich, d’évaluer ce qu’ils appellent l’«aléa sismique», en tentant de répondre à la question suivante: en un lieu donné, à quelle fréquence, avec quelle intensité et selon quelle probabilité la terre pourrait-elle trembler dans les cinquante prochaines années? De plus, ce service publie à intervalles réguliers un modèle qui décrit les séismes susceptibles de se produire et les mouvements de sol qui en découleraient.
En 2004, ce modèle révélait des péjorations de l’aléa sismique dans certaines régions, tel le Valais. Ce qui avait jadis fait dire au sismologue du SED Nicholas Deichmann: «Nous sommes convaincus que les risques de tremblements de terre en Suisse sont parfois sous-estimés. Surtout dans la conscience populaire. Ceci est en grande partie dû au fait qu’il n’y a pas eu de gros séisme durant les dernières décennies.» Depuis, «la catastrophe de Fukushima a suscité une plus grande conscientisation», dit Stefan Wiemer.
Que révèle le «modèle 2015»? «La valeur de l’aléa sismique pour les différentes régions n’a que peu évolué depuis 2004, écrit le SED: le Valais reste la région qui présente le danger sismique le plus élevé, suivi de Bâle, des Grisons, de la vallée du Rhin saint-galloise et de la Suisse centrale. L’aléa n’est plus fort que ce qui était admis jusqu’à présent que pour les Grisons, surtout pour l’Engadine. Cette classification à un niveau légèrement plus élevé s’explique avant tout par une évaluation ajustée des séismes survenus par le passé.»
Basé sur les connaissances en tectonique et en géologie – «notre compréhension de ce qui se passe à la source des séismes s’est grandement améliorée», dit Donat Fäh, professeur au SED –, ce modèle repose en effet aussi sur la masse de documents historiques (publics, administratifs, architecturaux) décrivant les secousses passées et leurs dégâts, et qui font l’objet de redécouvertes ou de nouvelles analyses. «Dans les années 1960, la sismologie a connu son «âge sombre», dit Donat Fäh. Dans l’enthousiasme autour du progrès technologique, l’on a tout misé sur le développement d’outils sismographiques, au détriment d’un suivi minutieux des événements.»
Surtout, ce modèle se voit constamment affiné grâce aux données de qualités recueillies durant la période écoulée sur le territoire scindé en «zones». «En fait, détaille Donat Fäh, comme pour les scénarios climatiques, on recourt même à quatre modèles de simulation au lieu d’un seul, que l’on croise pour faire nos analyses», dont la précision ne cesse de croître: «Il existe une incertitude aléatoire, liée à la précision des mesures. On doit vivre avec. Mais il y a aussi une incertitude épistémique. Elle dépend de tout ce qu’on ne connaît pas encore, sur les modèles notamment. Or les travaux des vingt prochaines années nous aideront à la réduire.» Et permettront peut-être de fournir, plus qu’un simple avis sur les aléas sismiques, une carte directement utile: celles des risques.
«Une telle carte, qui livrerait des chiffres concrets (un nombre de morts possibles ou des dégâts en millions de francs), n’existe pour l’heure pas en Suisse, admet Donat Fäh. Elle sera une combinaison de diverses composantes (nature exacte du sol, distribution des bâtiments et des habitants, vulnérabilité des constructions, précision des modèles).» En attendant, le SED livre deux cartes inédites, en plus de celles des aléas sismiques. L’une montrant les conséquences engendrées localement par des séismes de différentes amplitudes sur les déplacements du sol. L’autre indiquant la fréquence des séismes à partir d’une certaine magnitude. Toutes trois sont consultable sur Internet.
Ces cartes actualisées intéressent particulièrement les ingénieurs architectes, car elles déterminent la norme parasismique SIA 261. «Les différences par rapport à 2004 ne sont pas d’ordre à imposer une refonte de cette norme», dit Blaise Duvernay, responsable mitigation des séismes à l’Office fédéral de l’environnement. Cela dit, nous utilisons ces aléas sismiques pour évaluer nos recommandations de construction. Si celles-ci s’avèrent correctes, voire peu conservatrices, pour les petits bâtiments, telles les villas, toutefois déjà bien robustes, elles sont très conservatrices pour les hauts buildings. Nous allons lancer des évaluations plus poussées, en fonction des divers types de sols.»
Parmi les constructions les plus à risques figurent les centrales nucléaires. Interrogé sur le sujet, Stefan Wiemer a renvoyé au rapport Pegasos Refinement, du nom de cette expertise «réalisée de manière indépendante du SED» pour le compte de l’Inspection fédérale de la sécurité nucléaire (IFSN), et dont les résultats devraient être divulgués sous peu. «Mais nous sommes dans le même pays, nous comparons nos résultats…», glisse Stefan Wiemer.
La publication de cette carte tombe par ailleurs en plein débat, en Suisse, au sujet d’une «assurance tremblements de terre obligatoire» pour les bâtiments. Le conseiller aux Etats valaisan Jean-René Fournier a déposé une motion en ce sens en 2011. «L’avantage d’une telle assurance serait d’instaurer un système de solidarité permettant d’avoir des primes basses, et de mettre en place une organisation commune pour le traitement, souvent complexe, des dommages dus au séisme», dit Blaise Duvernay.
Après une consultation des cantons, montrant que 20 d’entre eux étaient favorables à la mise en place d’une telle assurance séismes, le Conseil fédéral, en juin 2014, a néanmoins proposé de classer ladite motion. «Le Parlement devrait statuer en décembre», dit Jean-René Fournier. Par ailleurs, la conseillère nationale bâloise Susanne Leutenegger Oberholzer avait aussi déposé une initiative parlementaire promouvant… la même assurance. La publication de cette carte des aléas va-t-elle changer la donne? «Pas forcément, juge Jean-René Fournier. Mais tout cela va réactiver la prise de conscience qu’un risque sismique existe bel et bien en Suisse.»