Les nanoparticules révolutionnent l’industrie: la Suva a fait quantifier combien d’entreprises sont impliquées en Suisse, et quels sont les effets sur la santé de leurs ouvriers.
Quelles sont les entreprises suisses qui travaillent avec des nanoparticules, ces briques de l’infiniment petit qui révolutionnent les matériaux, la médecine, ou l’alimentaire, et se retrouvent déjà dans 800 produits? Et combien d’ouvriers entrent potentiellement en contact avec ces miettes de matière de taille nanométrique – un nanomètre équivaut à un milliardième de mètre –, dont les effets sur l’environnement et le corps humain sont encore mal connus? C’est «pour éviter que les nanoparticules ne deviennent l’amiante du XXIe siècle», que la Suva, qui assure 84% du secteur industriel, a voulu répondre à ces questions.
Les nanoparticules sont le fruit d’un domaine en pleine expansion: les nanotechnologies. Ces techniques permettent de manipuler atomes et molécules dans le but de créer des produits aux propriétés inédites. Certaines entreprises utilisent des nanoparticules depuis des années, sans parfois même le savoir. D’autres se lancent sur ce marché émergent, que des analystes de Credit Suisse voient atteindre 220 milliards de dollars d’ici à 2010. Sur mandat de la Suva, l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST) a réalisé un inventaire des industries suisses qui utilisent des nanoparticules. Une première à l’échelle d’un pays, ont dit hier ses auteurs.
1300 personnes directement en contact
Un questionnaire a été adressé à un échantillon d’entreprises liées à la Suva. Puis les résultats ont été extrapolés à l’ensemble du secteur industriel. «Quelque 600 entreprises utilisent déjà des nanoparticules, résume Kaspar Schmid, de l’IST. Et près de 1300 personnes opèrent directement à leur contact. Cela représente 0,6% des firmes et 0,08% des travailleurs du secteur suisse de la production», celle surtout de l’industrie chimique, de l’électrotechnique ou de la sous-traitance automobile. «C’est peu! Cela signifie que les applications des nanoparticules sont encore à leur début, et que c’est le bon moment pour mettre en place des mesures de protection proactives.»
Encore faut-il pouvoir évaluer l’intensité de l’exposition des ouvriers à ces corpuscules. Dans ce but, des chercheurs de l’Institut IAST de la Haute Ecole spécialisée de Suisse nord-occidentale ont développé un appareil unique au monde selon eux. «Les instruments utilisés jusqu’ici étaient gros, onéreux, et peu conviviaux pour une utilisation mobile aux postes de travail, dit Martin Fierz. Et ils fonctionnent à l’aide d’une source radioactive…» Cet ingénieur a donc conçu une batterie de «diffusion d’énergie électrique»: «C’est un instrument léger – 5 kg –, robuste et simple, qui peut être glissé dans un sac à dos. Bien que cinq fois moins précis que les appareils fixes, notre système permet de fournir des valeurs concrètes en matière d’exposition individuelle aux nanoparticules.»
Mesures de protection
Car l’étude de l’IST fait ressortir un autre point: «Les entreprises se concentrent en premier lieu sur la protection des personnes (masques, gants, etc.), dit Kaspar Schmid. Et seules quelques-unes évoquent des mesures ciblées de préservation de l’environnement. Or l’expérience montre que des mesures techniques et organisationnelles permettent d’obtenir une meilleure protection et sont plus rentables à long terme.»
A Marly, Ilford a fait ce pas. Cette entreprise produit ses papiers photo avec une poudre de silice composées de particules nanométriques agglomérées, qui était naguère manipulée dans des sacs. Il y a deux ans, le site a été équipé d’un système de stockage et de production automatique évitant aux employés tout contact avec cette poudre. «En installant notre circuit de fabrication fermé, nous avons voulu nous préparer à l’utilisation ultérieure d’autres nanoparticules, explique Damien Moigno, toxicologue chez Ilford, mais aussi nous conformer aux législations actuelles, voire futures. Question sécurité, concernant les nanoparticules, nous avons donc un temps d’avance.»
A l’Office fédéral de la santé publique, on se réjouit de ces initiatives, qui aideront à mettre en Å“uvre le plan d’action de la Confédération sur les nanomatériaux de synthèse décidé récemment. Son objectif est en effet de développer des stratégies et de «créer des conditions-cadres dans l’industrie pour une utilisation responsable de ces nanomatériaux», rappelle Roland Charrière, vice-directeur de l’OFSP.