La malaria recule dans le monde, selon le dernier rapport de l’OMS. Au Sénégal, avec le soutien du Fonds mondial, la tendance est particulièrement marquée, grâce surtout à une prise en charge des maladies au sein même des communautés. Reportage dans la brousse, au village de Nekhé Niane.
A l’ombre du baobab, accoudée sur une nappe brodée, Fatou Niane enfile ses gants en latex, extrait une aiguille de sa gangue stérile, puis fait mine de piquer le doigt de la femme supposément fiévreuse venue la voir. Elle explique en wolof, le dialecte local, qu’elle n’aurait alors qu’à déposer une goutte de sang dans la plaquette en plastique qu’elle tient dans sa main pour savoir, 15 minutes plus tard, si sa patiente souffre ou non du paludisme.
Fatou Niane est la «dispensatrice de soins à domicile» de Nekhé Niane, village de 180 âmes perdu dans la brousse sénégalaise, à de longues minutes de charrette du premier poste de santé situé à 7 km. C’est la communauté qui l’a choisie pour effectuer, comme dans cette simulation, les nouveaux tests de dépistage rapides du paludisme, une fonction très valorisante pour elle. Et si le diagnostic est positif, c’est elle qui prescrit les traitements ACT, au prix de 300 francs CFA (70 centimes suisses, l’équivalent d’une canette de soda). Sinon, ses patients sont envoyés au poste de santé où ils subiront une anamnèse détaillée. Enfin, son rôle est aussi de sensibiliser ses proches aux moyens simples de se protéger, en engageant par exemple les familles à faire dormir les enfants en bas âge sous les moustiquaires.
Cette démarche de prise en charge à domicile (PECADOM) est appliquée depuis un an à Nekhé Niane. Elle a changé la vie du village. Abdou Niane, représentant du chef: «Ici, nous vivons du bétail et de la culture des arachides. Si quelqu’un est malade, il ne peut plus aller aux champs, la productivité baisse. [Avec la PECADOM], les gens sont moins malades, ou alors remis sur pied au village même»; la communauté n’a connu que cinq cas confirmés de paludisme depuis la fin de 2008.
L’approche PECADOM a été instaurée au Sénégal par le Programme national de lutte contre le paludisme (PNLP), avec entre autres les subsides du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Cet organisme constitué en 2002 à Genève fournit les deux tiers du financement international contre cette maladie tropicale, ayant engagé à ce jour 3,7 milliards de dollars au total, dont 60 au Sénégal, où la malaria est endémique. Début décembre, la presse a été invitée à apprécier les progrès sur le terrain.
Grâce à cet argent, plus de 1,1 million de moustiquaires imprégnées d’insecticide – l’un des outils de prévention les plus efficaces, mais pas les moins chers – ont pu être mises à disposition; auparavant, seules 200 000 avaient été distribuées. Et 3,35 millions de patients ont pu être traités avec des médicaments appropriés (ACT). Enfin, des centaines de milliers de tests de dépistage rapide (TDR) ont été acheminés dans les postes de santé ruraux. «Avant, tous les cas de fièvre étaient attribués à la malaria, et traités comme tels. Grâce aux TDR, les soins peuvent être mieux ciblés», se réjouit Moussa Thior, coordinateur du PNLP.
Couplés aux actions financées par d’autres organismes, comme la Banque mondiale, ces efforts ont fait régresser le paludisme sur le territoire sénégalais. Alors que 1,6 million de cas avaient été répertoriés en 2006, ils n’en restaient qu’un million en 2007, puis 600 000 l’an dernier, selon le PNLP. Quant aux décès, ils sont passés de 8000 en 1998 à 1500 en 2007. Une décrue qui confirme la baisse au niveau mondial annoncée hier par l’Organisation mondiale de la santé (lire en page 2).
La lutte est loin d’être gagnée, au Sénégal comme ailleurs. «Avec la PECADOM, l’accès aux TDR et aux médicaments, nous avons prouvé dans des situations pilotes qu’endiguer le paludisme était possible, se félicite Moussa Mbaye, secrétaire général du Ministère de la santé. Nous avons aussi maintenant une stratégie de mise à l’échelle du pays.» A ce jour, 461 villages expérimentent la PECADOM, et le programme est appelé à s’étendre selon les fonds disponibles. «Mais son succès dépend surtout de l’engagement des communautés rurales, pas égal partout…»
L’une d’elles, gérée par l’Association islamique AISM soutenue par le Fonds mondial, est souvent citée en exemple. A Bangathie, village de 3951 habitants, les cas de paludisme mortel, encore nombreux en 2000, sont désormais inexistants depuis. Pour quelles raisons? «Nous avons mis sur pied quatre activités, dit El Hadji Diop, président de l’AISM, motivé à se mobiliser en 1999 après le décès de sa fille de 12 ans. «D’abord, nous avons constitué des comités de salubrité publique.» Les rues du village sont en effet débarrassées de tous détritus (pneus, sacs en plastique, etc.) qui, remplis d’eau de pluie, constituent autant de nids à moustiques. «Ensuite: nous cotisons tous, modestement, à une caisse publique», ce qui permet, d’aider les plus démunis à appliquer les TDR et les traitements, voire de leur acheter des moustiquaires. «Nous exigeons en effet que chaque lit de chaque maison en soit pourvu. A la saison des pluies, un groupe de femmes fait la tournée des demeures, et amende les foyers qui n’en ont pas!»
Optimiste, Moussa Thior estime que le nombre de cas annuels au Sénégal peut s’abaisser à 200 000, voire 150 000. «Nous approcherons alors le gouvernement pour lui demander de financer les médicaments encore manquants et ainsi pérenniser le programme.» «L’on doit tenter de le faire, en misant sur les acquis», se résigne à répondre le secrétaire général Moussa Mbaye.
D’ici là, le président du PNLP souhaite que le Fonds mondial maintienne son soutien, «en faisant peut-être preuve d’un peu plus de souplesse, car les ressources matérielles, médicamenteuses et humaines (personnel formé) manquent encore. Or des fonds promis sont bloqués pour des questions de procédures administratives. Ainsi, les médicaments ACT que nous distribuons en ce moment nous ont été donnés par la Chine…» Les procédures mises en place par le Fonds mondial sont très strictes, ceci pour écarter tout problème de détournement d’argent ou de corruption. «Parfois, je préférerais qu’on nous donne directement des moustiquaires et des médicaments, plutôt que de l’argent pour en acheter, reprend Moussa Thior. Mais je comprends que c’est irréalisable pour des questions de logistique.»
L’idée fondatrice du Fonds mondial est en effet de soutenir financièrement des projets mis en Å“uvre par les collectivités locales dans les pays concernés par les trois maladies (sida, malaria, tuberculose), elles-mêmes au cÅ“ur des Objectifs du millénaire pour le développement, qui devraient être atteints d’ici à 2015.