C’est une planète lointaine où le ciel est des plus inédits, puisqu’il y pleut du fer! Des astronomes de l’Université de Genève ont fait cette découverte sur l’astre WASP-76b, à l’aide de l’instrument ESPRESSO, le spectrographe plus perfectionné au monde, installé sur le télescope VLT au Chili mais construit à Genève. Les scientifiques publient ce 11 mars leur bulletin météo de cette exoplanète dans la prestigieuse revue Nature.
Pourquoi c’est important. Avec 4199 exoplanètes découvertes au compteur en date du 9 mars 2020, les astrophysiciens se passionnent désormais pour un champ de recherche fascinant: l’étude de l’atmosphère de ces planètes tournant autour d’une autre étoile que notre Soleil. Il a souvent été jugé que les télescopes spatiaux seraient les mieux placés pour mener ce genre de travaux. Cette étude montre que les instruments au sol sont tout autant, voire plus utiles, et ouvre de fascinantes perspectives.
De quoi on parle. De WASP-76b, une planète exotique découverte en 2013 et située à quelque 390 années-lumière, dans la constellation des Poissons. Cet astre ne montre constamment qu’une seule face à son étoile, celle du jour, laissant dans une obscurité perpétuelle sa face nocturne, beaucoup plus froide. Tout comme la Lune sur son orbite autour de la Terre, WASP-76b est ainsi dite «verrouillée» : elle met autant de temps à tourner autour de son propre axe qu’à faire le tour de son étoile. Si la planète ne tournait pas autour de son propre axe, elle montrerait successivement toutes ses faces à l’étoile.
Du côté éclairé, WASP-76b reçoit des milliers de fois plus de rayonnement de son étoile que la Terre n’en reçoit du Soleil, faisant monter sa température à plus de 2400°C, explique l’Université de Genève dans un communiqué. Il fait si chaud que les molécules se séparent en atomes. Parmi eux, les métaux, comme le fer, s’évaporent alors dans l’atmosphère.
Les différences de température extrêmes entre le jour et la nuit se traduisent alors par des vents violents qui transportent la vapeur de fer depuis le côté ultra chaud du jour vers le côté plus froid de la nuit, où les températures baissent jusqu’à environ 1500°C.
Ce qui a été observé, et comment. Pour faire ces découvertes, les scientifiques de l’Unige ont utilisé le spectrographe ESPRESSO, qui a été construit à l’Observatoire de Sauverny, près de Genève, à la base pour découvrir de nouvelles exoplanètes.
Le principe: lorsque WASP-76b passe devant son étoile, son atmosphère est traversée par la lumière de cette dernière. Lumière qui arrive jusque sur Terre, où l’on retrouve la «signature chimique» des éléments que contient l’atmosphère, ceci sous la forme de raies de bien caractéristiques dans le spectre lumineux détaillé.
Et c’est là que la surprise est apparue.
Les résultats. David Ehrenreich, professeur associé au Département d’astronomie de l’Université de Genève et premier auteur de cette étude:
«En observant très finement les données, nous avons remarqué que, dans la lumière provenant de la frontière du soir, là où l’atmosphère de la planète passe de son côté jour à son côté nuit, il y avait de la vapeur de fer dans cette atmosphère. Or, dans la zone qui sort de la nuit sur cette même planète, à son matin donc, il n’y avait plus trace de cette vapeur de fer. La conclusion est que le fer vaporisé se condense sur la face où il fait nuit. En d’autres termes, il pleut du fer sur le côté nocturne de cette exoplanète extrême!»
Le scientifique le reconnaît, «il s’agit là d’une supposition, d’une inférence, car on ne voit pas directement ces précipitations de fer. Mais c’est l’hypothèse la plus plausible pour expliquer la différence observée entre les deux côtés de l’exoplanète.»
L’intérêt de cette découverte. Pour Didier Queloz, astronome aux Université de Cambridge et Genève, découvreur de la première exoplanète en 1995 et lauréat du Nobel de physique 2019 pour cela, mais qui n’a pas participé à ces nouveaux travaux publiés dans Nature:
«Conclure qu’il pleut du fer sur WASP-76b est une jolie découverte, qui permet aujourd’hui à leurs auteurs d’avoir les honneurs de Nature. Mais l’essentiel est surtout ailleurs: ils démontrent qu’avec ESPRESSO, un spectrographe installé au sol, avec une très haute résolution, il est possible d’étudier extrêmement précisément la composition chimique de l’atmosphère des exoplanètes. Et cela aussi bien, voire mieux, qu’avec des télescopes spatiaux. C’est un nouveau champ qui s’ouvre vraiment!»
Pour David Ehrenreich ainsi que pour Francesco Pepe, le «père» d’ESPRESSO à l’Université de Genève, cette découverte a été tout de même surprenante. Ce dernier explique:
«Nous avons très tôt pensé que nous pourrions utiliser l’instrument non seulement pour découvrir de nouvelles planètes, mais aussi pour caractériser celles qui sont déjà connues. Pourtant, jusqu’à la mise en service de l’instrument en 2018, nous n’avions pas réalisé à quel point ESPRESSO était vraiment efficace dans ce domaine»
«Grâce à cette technologie, nous possédons à présent une toute nouvelle façon de tracer le climat des exoplanètes les plus extrêmes», conclut David Ehrenreich.
La petite histoire dans la grande. Comme le confie Francesco Pepe à Heidi.news, cette découverte est même le fruit d’un coup de chance assez fou.
L’instrument ESPRESSO, pensé dès 2007 et construit dès 2010, devait formellement entrer en fonction le 1er octobre 2018 sur le site du VLT, à Paranal, au Chili, non loin du désert d’Atacama. L’installation s’est parfaitement déroulée, et mieux que dans les temps. «Mais nous devions tout de même faire une intervention technique durant la première semaine du mois d’octobre, explique l’actuel directeur de l’Observatoire de Genève. Nous avons alors demandé à l’ESO, qui gère le site de Paranal, si nous pouvions anticiper le début des mesures, sachant que le 2 septembre 2018, la planète WASP-76b passait devant son étoile, ce qui allait nous permettre de faire les mesures décrites ci-dessus.»
L’ESO a accepté. Et c’est donc un instrument astronomique genevois en avance sur son temps (d’observation officielle) qui a permis, à peine enclenché, de faire une découverte scientifique fondamentale. De quoi, pour les scientifiques, comme pour Gene Kelly, sauter de joie et chanter sous la pluie (de fer)