Il est loin, infiniment loin, le temps des huttes en planches qui abritaient les explorateurs de l’Antarctique des vents glaciaux, dans lesquelles ils pouvaient se nourrir « au chaud », voire dormir un peu. Aujourd’hui, les stations érigées sur le « continent blanc » prennent des allures futuristes sous les coups de crayon d’architectes de renom. Leur but premier reste de permettre aux scientifiques de travailler – dans un confort accru tout de même. Mais plus seulement. Elles sont parfois pensées avec d’autres desseins : hôtel éphémère, centre de conférences, lieux de cours ou site de relais satellitaires. Avec, en filigrane très souvent, une intention pour la nation hôte : afficher son positionnement stratégique sur ce bout du monde qui suscite les plus vives convoitises.
Le 15 janvier a été inaugurée sur la péninsule Antarctique la nouvelle base brésilienne, Comandante Ferraz. Conçue par le bureau d’architectes Estudio41, elle ressemble plus à un hôtel chic posé le long d’un fjord qu’à une station scientifique. Une semaine plus tôt était dévoilé le projet « Andromeda » de la Fondation polaire internationale (IPF), basée en Belgique. Celle-ci veut instituer, d’ici à 2026, la première « université de l’Antarctique » dans deux édifices ovales fonctionnant aux énergies renouvelables.
Et, à McMurdo, à la même échéance, l’emblématique « village-base » américain (avec sa centaine de baraques énergivores) devrait céder la place à un complexe de grands bâtiments aux lignes polygonales.
Enfin, en 2018 s’est ouverte la nouvelle station espagnole Juan Carlos I, dont les modules en forme d’igloos oblongs ont été dessinés par le bureau anglais Hugh Broughton Architects, la même agence qui a imaginé la mythique Halley VI britannique, infrastructure déplaçable (sur des skis géants) aux allures martiennes, inaugurée en 2013.
Depuis l’entrée en vigueur, en 1961, du traité sur l’Antarctique, qui voue le continent à la seule recherche scientifique, 97 bases scientifiques ou à vocation duale (scientifique et civile ou militaire) y ont été construites. Aujourd’hui, 78 sont en activité, dont 44 ouvertes toute l’année. Et 24 Etats sur les 54 signataires du traité ont annoncé, à l’horizon 2035, la construction de nouvelles bases ou l’extension de bases existantes, a recensé Mikaa Mered, professeur de géopolitique des pôles à l’Institut libre d’étude des relations internationales (Ileri) à Paris, et auteur d’un récent ouvrage de référence (Les Mondes polaires, PUF, 2019).
Outre la climatologie, la glaciologie et l’étude du vivant sur la côte, disciplines scientifiques phares en Antarctique, les chercheurs s’y rendent pour d’autres raisons : récolte de météorites, analyses géoscientifiques (sismologie, magnétisme de la Terre), traque d’organismes extrêmophiles, observation astronomique grâce à la pureté du ciel notamment. « A Andromeda, une des idées est d’installer un banc de test pour des technologies robotisées en milieux extrêmes », ajoute le glaciologue Konrad Steffen, directeur scientifique du Swiss Polar Institute, à qui a été confiée la tâche d’établir le programme scientifique de la future base, dont le budget de 72 millions d’euros doit encore être réuni.
Une université internationale
La raison d’être principale des stations antarctiques reste ainsi la recherche, estime Jérôme Chappellaz, directeur de l’Institut polaire français Paul-Emile-Victor : « A défaut de conduire des expéditions scientifiques ou d’être un pays possessionné [revendiquant une partie du territoire], c’est une condition sine qua non pour obtenir le statut de “partie consultative” [avec pouvoir de décision] au traité sur l’Antarctique. » Les bases deviennent « des points-relais géopolitiques multi-usages, ajoute Mikaa Mered. Certaines servent des intérêts de propagande, comme le Chili, qui a créé un musée in situ afin d’alimenter le tourisme et de distiller une historiographie prochilienne de la colonisation de l’Antarctique. »
« Créer la première université internationale en Antarctique renforcerait le caractère multinational du continent »
Loin de tout discours subjectif, les initiateurs d’Andromeda ambitionnent, eux, d’en faire un lieu où étudiants en master et doctorants, en plus de mener leurs expériences, suivraient des cours. Selon Konrad Steffen, la structure accueillerait de 30 à 40 jeunes chercheurs pour quelques mois, avec l’objectif que leur séjour soit validé par des crédits d’études internationaux : « L’enseignement, incluant du mentorat, sera aussi théorique que pratique, puisque les étudiants devront faire fonctionner la station, dans toute son autonomie et sa complexité technologique. »
Au Svalbard, territoire norvégien situé dans l’hémisphère Nord, l’université internationale UNIS, dévolue à l’Arctique, fonctionne déjà ainsi, servant de modèle académique à Andromeda. « Créer la première université internationale en Antarctique renforcerait le caractère multinational du continent et pourrait servir de point de chute pour des conférences scientifiques, mais aussi politiques – l’assemblée parlementaire de l’OTAN s’est ainsi réunie à l’UNIS », commente Mikaa Mered. Nighat Johnson-Amin, cofondatrice de l’IPF, indique avoir été approchée par différentes institutions académiques intéressées par la démarche.
Celle-ci n’est pas unique : le 20 décembre 2019, l’université de l’Insubrie, dans le nord de l’Italie, a aussi annoncé vouloir être, d’ici à trois ans, « la première université à avoir un siège au pôle Sud pour la formation des étudiants et doctorants », en l’occurrence sur la base chilienne O’Higgins. Et, dans la même logique, la nouvelle McMurdo, budgétisée à 355 millions de dollars (329 millions d’euros) et placée sous l’égide de la National Science Foundation américaine, devrait accueillir dès 2026 des événements scientifiques et culturels dans son auditorium de 150 places, le premier en Antarctique.
Des touristes-ambassadeurs ?
Plusieurs observateurs considèrent ces idées avec circonspection pour des raisons écologiques. « Le traité sur l’Antarctique et le protocole de Madrid en 1991, qui ont non seulement sanctuarisé l’Antarctique pour la science mais ont imposé des conditions de contrôle environnemental extrêmement strictes, nous forcent, nous les opérateurs logistiques, à rendre des comptes sur l’impact environnemental de nos activités, rappelle Jérôme Chappellaz. Si ces nouveaux usages des stations ont pour effet d’augmenter le trafic aérien de desserte des visiteurs, on va rapidement entendre des critiques très pertinentes à notre égard… »
Les initiateurs de ces nouveaux projets ont bien sûr réponse à ces objections. « Dans le cas d’Andromeda, nous disposerons bientôt d’une piste pérenne pour avions de ligne à proximité du site, ce qui va nous économiser les vols internes avec les petits aéroplanes, coûteux et polluants », analyse Louis Greindl, président de l’IPF, ce qui permettra de compenser l’impact écologique des vols moyen-courriers depuis l’Afrique du Sud.
De son côté, Konrad Steffen met en avant la production de fuel liquide à partir simplement d’air et d’énergie solaire, selon un procédé expérimental mis au point à l’ETH de Zurich, où il est professeur. Un procédé qui pourrait être installé sur place : « De quoi encore améliorer le bilan environnemental de la future station, car il n’y aura plus besoin d’y apporter le carburant nécessaire au vol retour des avions. » Toutefois, le contre-argument principal est ailleurs.
« Où place-t-on la limite ? S’agira-t-il d’emmener peu de visiteurs, mais de marque, donc susceptibles de générer un écho médiatique important ? »
Selon Louis Greindl, chaque visiteur découvrant le « continent blanc » en revient subjugué au point d’élargir le cercle des défenseurs-ambassadeurs de cette région hors norme. La majorité de scientifiques ayant fait ce périple confirment cet engagement : « Tout va lentement en termes de sensibilisation au sujet de l’importance de protéger l’Antarctique. Il faut des projets emblématiques aptes à présenter et traduire ces enjeux auprès de la société dans son ensemble. Enseigner sur le terrain est une manière unique de le faire », estime Steven Goderis, professeur à l’université Vrije de Bruxelles, qui va régulièrement à la station de l’IPF Princess-Elisabeth-Antarctica (PEA) pour « chasser » les météorites sur les champs de glace avoisinants.
Jérôme Chappellaz, lui, est mitigé : « Ce discours autour des “ambassadeurs de l’Antarctique” est reproduit par les tour-opérateurs qui y acheminent un nombre croissant de touristes. Mais où place-t-on la limite ? L’argument ne me semble pas raisonnable. Ou alors s’agira-t-il d’emmener peu de visiteurs, mais de marque, donc susceptibles de générer un écho médiatique important ? »
Justement, pour la présentation d’Andromeda au Cap (Afrique du Sud), ses responsables avaient invité l’ancien vice-président américain Al Gore, devenu une voix dans la lutte contre le réchauffement. « La relation entre l’humanité et la Terre est en train de se transformer profondément, a-t-il dit. Il n’y a rien de mieux pour illustrer ce phénomène que l’Antarctique. La vision d’y établir un lieu d’enseignement est irrésistible. La science qui y sera menée va accroître notre conscience du problème. »
Une cinquième base pour la Chine
De l’avis de Mikaa Mered, toute la démarche va plus loin : « D’une part, l’idée de créer un business des conférences là-bas est réelle. D’autre part, le traité interdit toute exploitation du sous-sol du continent (minerais, énergies fossiles, etc.). Mais si une nation décidait malgré tout de s’y livrer, il n’y aurait aucun moyen de répression. Augmenter le nombre d’ambassadeurs de l’Antarctique, surtout lorsqu’ils sont célèbres, permet de constituer une masse politiquement dissuasive dans le cas d’une velléité nationale délétère en Antarctique, à travers la pression publique qui serait exercée. Au final, le coût environnemental de faire venir ces visiteurs est moindre que le rayonnement qu’ils offrent comme porteurs de message. »
« Si un jour le continent se voyait territorialisé selon les revendications nationales, la Chine veut que sa voix domine »
De même, la question de l’empreinte écologique est sans cesse mise en balance avec d’autres intérêts, économiques, voire géostratégiques. Parmi les premiers, une des idées, dont la rentabilité reste à établir, concerne l’espace : « Le marché des constellations de satellites explose, avec notamment la société américaine SpaceX, explique Thomas Petraca, chef des ingénieurs à PEA. Les pôles sont des lieux idéaux pour installer des antennes pour décharger les satellites de leurs données, car, la Terre tournant, la durée de téléchargement possible vers le pôle est plus longue que pour des antennes situées sur l’équateur. »
Aujourd’hui, seules trois stations du genre existent en Antarctique. Des contacts étroits ont été pris avec plusieurs agences spatiales pour établir de telles antennes à Andromeda, note Nighat Johnson-Amin. Actif dans le développement de l’Agence spatiale nationale sud-africaine (SANSA), Jean Kobus Van Zyl confirme un intérêt pour le segment des stations radar au sol, qui permettraient à son pays d’« étendre ses activités en Antarctique. Ce serait aussi un moyen réaliste de financer Andromeda, surtout si les contrats de partenariat viennent de l’industrie privée », du spatial ou des télécommunications.
Sur le plan géostratégique enfin, chaque Etat présent en Antarctique avance ses pions. Le plus actif est la Chine, qui construit actuellement une cinquième base. De quoi être installée dans tous les secteurs importants du continent, de son sommet (dôme A) jusqu’à chaque côte. « Si un jour le traité volait en éclats ou était renégocié, et que le continent se voyait territorialisé selon les revendications nationales, la Chine, jeune nation en Antarctique, veut que sa voix domine. Les autres acteurs importants, Russie et Etats-Unis en tête, se placent aussi dans cette démarche. L’arsenalisation du continent est une hypothèse peu probable, mais prise très au sérieux », analyse Mikaa Mered.
Des architectes cotés à la conception
Enfin, qui dit positionnement dit aussi nécessité de visibilité globale. C’est l’une des raisons pour lesquelles des architectes cotés sont appelés à imaginer des bâtiments qui marqueront les esprits et, dans la vague de nouvelles constructions, aideront les pays hôtes à se démarquer. « L’aspect esthétique est un élément important, mais pas primordial, tempère le Belge Philippe Samyn, qui a déjà à son actif la construction de la station PEA en 2009, semblant sortie de Star Wars, et qui vient de dessiner les plans d’Andromeda. Ce qui compte avant tout, c’est le soin des détails, qui deviennent des éléments majeurs lorsqu’on se trouve dans des environnements extrêmes. Dans l’œil de l’architecte, ceux-ci doivent avant tout servir l’efficience et la simplicité d’utilisation de l’endroit. »
Par le passé, la conception des stations était en effet souvent confiée à des ingénieurs, et avait pour objectif la survie. « En impliquant des architectes, la nouvelle génération d’édifices, née avec Halley VI il y a une décennie, a permis de prendre en considération d’autres aspects, comme le design des espaces de vie, abonde Gianluca Rendina, du bureau Hugh Broughton. Ainsi, Halley VI est l’une des stations ayant les plus grandes fenêtres, pour le bien-être des occupants. »
Un avantage rendu possible par l’emprunt de technologies à d’autres domaines comme le spatial pour les baies vitrées, évitant une trop grande perte de chaleur. Ou le maritime pour les systèmes de toilettes. Ou encore le ferroviaire lorsqu’il s’est agi d’attacher, comme les wagons d’un train, les modules de la station déplaçable.
« On attire d’autant mieux les meilleurs scientifiques dans ces stations qu’elles sont belles et agréables. Il en va aussi d’une certaine fierté dans le contexte géopolitique sur place »
Cette recherche toujours plus poussée de technologies permet même de disposer de stations autonomes en énergie (solaire et éolienne), telle PEA, quand bien même celle-ci n’est occupée que durant l’été austral. A Andromeda, les ingénieurs envisagent d’installer pour la première fois en Antarctique des piles à combustible à hydrogène, en lieu et place des polluantes batteries solides, pour stocker l’électricité solaire et éolienne.
Jérôme Chappellaz salue ces innovations, mais rappelle que les générateurs au fuel restent pour l’heure la seule technologie réellement éprouvée pour les stations très reculées comme la franco-italienne Concordia, qui pratiquent les hivernages et sont alors en autarcie complète, avec une nécessité de sécurité absolue pour leurs occupants, dont la vie dépend des systèmes d’énergie.
Quant aux formes originales de ces bâtiments, elles s’expliquent. « La compacité des deux ovoïdes d’Andromeda est liée à l’efficience énergétique. Les objets qui présentent le meilleur rapport entre leur surface et leur volume sont la sphère et le cylindre. Une telle structure minimise aussi les arêtes vives du bâtiment, et donc les problèmes de sollicitation dynamique par le vent », détaille Philippe Samyn. Au bout du compte, l’architecte l’admet, l’esthétisme rejoint la science et la technologie : « De même, face à une équation mathématique, on dit qu’elle est “belle” : c’est ce moment où s’établit une relation très intime entre la beauté des choses et leur dimension scientifique. »
Pour Gianluca Rendina aussi, « il y a probablement malgré tout cette idée inconsciente, chez nous, que l’on attire d’autant mieux les meilleurs scientifiques dans ces stations qu’elles sont belles et agréables. Il en va aussi d’une certaine fierté dans le contexte géopolitique sur place. » On y revient.
« Les bases scientifiques antarctiques ne sont plus juste des porte-drapeaux, résume Mikaa Mered. Désormais, elles sont elles-mêmes des drapeaux, comme ceux que plantaient jadis les premiers explorateurs ! Dès lors, pour être des symboles de prestige national, à l’instar des missions spatiales, les bases antarctiques ne doivent pas être juste fonctionnelles, elles doivent faire rêver. »
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Jérôme Chappellaz : « Pour l’instant, la France n’a pas d’ambition importante pour l’Antarctique »
Le directeur de l’Institut polaire français Paul-Emile Victor, optimiste après la visite en Antarctique de la ministre de la recherche fin 2019, espère que l’Etat mette en place une stratégie sur cette question-clé pour l’avenir de l’humanité.
Jérôme Chappellaz est directeur de l’Institut polaire français Paul-Emile-Victor (IPEV), qui gère les activités de recherche françaises en Arctique, en Antarctique et dans les îles subantarctiques.
Quelle est la stratégie française en Antarctique ?
Elle est à définir. En 2009, Michel Rocard avait été nommé ambassadeur pour les pôles par Nicolas Sarkozy. Pendant sept ans, il s’est occupé de l’Arctique, produisant une feuille de route interministérielle pour l’ensemble des activités s’y déroulant. Il n’y a pas de document équivalent pour l’Antarctique. Michel Rocard avait prévenu : « L’Antarctique a toujours besoin de nos efforts. »
La France est l’une des sept nations ayant revendiqué une partie du « continent blanc », une revendication gelée par le traité sur l’Antarctique [appliqué en 1961]. A ce titre, nous avons des responsabilités particulières. Or la France se contente de maintenir en état deux stations de recherches vieillissantes : Dumont-d’Urville et Concordia [en partage avec l’Italie]. Voilà. Nous n’avons pas d’ambition plus importante pour l’instant.
Récemment, vous avez dit que « la France fait beaucoup avec peu » en Antarctique. Faut-il comprendre cette déclaration comme une louange ou comme une revendication ?
Dans le rôle d’opérateur logistique polaire qu’assure l’IPEV, ne serait-ce qu’entretenir l’existant devient problématique car nous ne disposons plus des ressources nécessaires, humaines surtout. A titre d’exemple, l’usure des personnels et l’érosion des postes pérennes fait que le pilotage de nos infrastructures est assuré par un ingénieur du CNRS à la retraite, sous contrat comme micro-entrepreneur.
De manière générale, nous manquons de personnels pérennes couvrant les métiers du bâtiment (fluides, électricité, gros œuvre, second œuvre). Aujourd’hui, pour accomplir ces tâches, il manque six postes que nous occupons parfois avec des CDD, avec, à chaque changement, une perte de compétences. Ces six postes représenteraient 350 000 euros par an et le relèvement de notre plafond d’emploi, sachant que l’IPEV dispose d’un budget annuel de 18 millions d’euros.
Nous ne parlons donc pas d’enveloppes monstrueuses. Le CNRS comme le ministère en charge de la recherche sont conscients de la situation. J’en ai longuement discuté avec la ministre de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, Frédérique Vidal, lors de son séjour en Antarctique en novembre 2019.
Pourquoi faut-il soutenir les efforts de recherche en Antarctique ?
La première raison est que les questions de recherche qui se posent en Antarctique, autour des changements climatiques surtout, concernent l’ensemble des sociétés humaines. L’enjeu majeur de l’évolution future du niveau des océans se joue là-bas, notamment à travers de meilleures connaissances des interactions des glaciers flottants avec les océans. De leur fonte dépendra l’élévation du niveau des mers de 40 cm, 80 cm, voire plus d’ici à la fin du siècle – et, évidemment, l’avenir de nos sociétés ne s’arrête pas à la fin du XXIe siècle. D’autres sujets, concernant la biodiversité et la création d’aires marines protégées, ou encore les enjeux des pollutions aux pôles, sont très importants. Or la France héberge d’excellents scientifiques dans ces domaines.
Deuxième argument, en corollaire : la diplomatie polaire passe par la science, et la voix de la France en la matière peut être écoutée. Mettre en place un plan d’action national autour de l’Antarctique, c’est s’assurer que notre nation conserve une voix importante au chapitre dans la gestion de cette région. Dernier point : la France a été historiquement une puissance polaire, à travers nombre d’explorateurs reconnus. Notre pays fut l’un des premiers à s’installer sur le « continent blanc » pour y mener des recherches. Il en va donc du positionnement de la France dans des lieux qui sont au centre de grands enjeux internationaux.
La situation est-elle vraiment si alarmante ?
Oui, je tire la sonnette d’alarme dans le sens où notre voix devient « standard » dans le concert des nations à ce sujet. D’autres se donnent les moyens de leurs ambitions pour se positionner : les Etats-Unis investissent très fortement en Antarctique ; la Russie reconstruit sa station historique, Vostok ; les Australiens ont voté des budgets considérables, eux qui ont revendiqué 42 % de l’Antarctique ; la Chine est en voie de construire une cinquième station de recherche, afin d’être présente sur tous les secteurs principaux du continent.
En novembre 2019, vous avez donc accompagné la ministre de la recherche dans son périple en Antarctique. De quoi vous a-t-elle assuré ?
La présence même de Frédérique Vidal en Antarctique a été un signal extrêmement fort : c’était la première visite sur place d’un ministre en exercice de la République française. Le fait qu’elle ait pu s’y rendre pendant huit jours souligne a priori une volonté de l’Etat de réinvestir le terrain polaire. Et j’ai plutôt bon espoir qu’à travers cette visite de Mme Vidal – qui serait doublée de son déplacement au Svalbard [dans l’océan Arctique] au mois d’avril – un plan d’action puisse être concrétisé non seulement pour la recherche scientifique, mais plus généralement pour la place de la France dans les régions polaires. Elle s’est dite très impressionnée par la diversité des sujets scientifiques abordés en Antarctique, par les compétences présentes sur place, logistiques ou scientifiques. Nous avons donc aujourd’hui une très bonne oreille au niveau du ministère.
Cela dit, la ministre dispose d’une enveloppe financière fixée par Bercy et le premier ministre, si bien qu’elle devrait ponctionner quelque part les moyens supplémentaires qu’elle accorderait à l’IPEV. Ces arbitrages sont difficiles. Mon souhait est que, avec la France présidant la prochaine réunion du traité sur l’Antarctique, en juin 2021, à Paris – un événement important, trente-deux ans après celui où Michel Rocard annonçait la démarche conduisant au protocole de Madrid sanctuarisant l’Antarctique –, nous rendions publique une stratégie de recherche polaire claire et portée par l’ensemble des ministères concernés.