La société Swiss Space Systems (S3), active depuis novembre 2012 à Payerne, s’allie à l’EPF de Lausanne pour créer le premier satellite éboueur. Lancement prévu en 2018
La Suisse spatiale fait corps pour une vaste entreprise de nettoyage: «Aller chercher le premier satellite suisse jamais lancé, le désorbiter avec un engin helvétique, acheminé lui-même par un lanceur développé par une société basée à Payerne, c’est joli», s’est réjoui mardi Pascal Jaussi, fondateur de cette dernière, Swiss Space Systems (S3). Active depuis novembre 2012, cette entreprise a injecté 15 millions de francs dans le projet CleanSpace One, développé à l’EPFL. Cet engin spatial aurait pour but de faire Å“uvre de pionnier dans un domaine crucial: l’évacuation des débris qui jonchent les orbites et menacent les satellites ainsi que la Station spatiale internationale.
L’astronaute suisse Claude Nicollier, membre du comité d’experts de S3, a rappelé qu’il existe des milliers de ces déchets, issus de vieux engins spatiaux, et dont la taille varie du millimètre à la dizaine de mètres. «Ils se déplacent à 28 000 km/h et, en cas de collision, peuvent non seulement causer des dégâts, mais aussi créer de nouveaux déchets.» Ce qui ne ferait qu’empirer la situation. «On ne peut pas les enlever tous. Mais si l’on ne fait rien, l’accès à l’espace sera plus difficile et dangereux.»
Le projet CleanSpace One veut montrer que l’on peut agir, qui plus est en balayant devant la porte helvétique: «Nous avons dessiné les plans d’un satellite chasseur, un gros cube de 30 cm de côté pour 20 à 30 kg, qui devra s’insérer dans l’orbite de SwissCube, le satellite estudiantin de l’EPFL», explique Volker Gass, directeur du Swiss Space Center. Grand comme une boîte de Kleenex, ce nanosatellite lancé le 23 septembre 2009 avait pour mission d’observer l’«airglow», un phénomène luminescent autour de la Terre. CleanSpace One aura donc pour objectif de le saisir avec une pince à quatre doigts, puis de se désorbiter avec lui afin que tous deux se consument lors de la rentrée dans l’atmosphère.
Chez les deux partenaires, on déclare que l’accord annoncée ne fait que des gagnants. «Ce projet a le potentiel de structurer le paysage spacial suisse», avise même Daniel Neuenschwander, directeur des Affaires spatiales au Secrétariat d’Etat à la recherche, à Berne. «Des 15 millions, 5 sont dédiés à la réalisation du satellite, qui n’existait que sur le papier, dit Volker Gass. Je m’en réjouis, notamment pour les étudiants de l’EPFL, de l’EPFZ et de la HES-SO, qui vont travailler sur du concret.»
Les 10 autres millions représentent le coût du lancement, que S3 prend donc à sa charge. Ce lancement – «notre première mission», espère démontrer Pascal Jaussi – se fera avec le système inédit à trois étapes que développe la société: un Airbus décolle avec, sur son dos, une petite navette spatiale, et monte à 10 km d’altitude. Là, il largue sa passagère, dont les moteurs-fusées s’allument pour la faire grimper jusqu’à 80 km. Aux confins de l’atmosphère, l’engin ouvre sa soute et libère sa charge utile, à savoir un petit vaisseau transportant le satellite, qui possède aussi son système de propulsion pour atteindre l’orbite visée. «L’avantage du système? Il est possible d’interrompre le lancement à divers moments», dit Pascal Jaussi. «Et pour nous, abonde Volker Gass, l’intérêt est de placer CleanSpace One sur orbite avec un lanceur spécifiquement dédié à cette tâche, et non pas en profitant, comme passager additionnel, du lancement d’une fusée européenne ou indienne.»
Voilà pour le plan. Car tout reste à concrétiser dans ce projet. A commencer par l’acquisition du «premier étage», l’Airbus. Et ce n’est pas un avion que S3 envisage d’acheter, mais quatre: «C’est la condition de la compagnie aérienne qui veut s’en séparer», dit Pascal Jaussi. La démarche coûtera entre 25 et 30 millions de francs. D’où proviendront ces fonds? «De nos partenairesnotamment, répond le patron de S3. Par ailleurs, nous avons des accords avec plusieurs pays pour développer chez eux des spatioports pour nos lancements. L’idée est alors d’exploiter ces Airbus pour effectuer des vols dits «zéro gravité», durant lesquels des passagers expérimentent pendant quelques minutes une situation d’apesanteur, comme dans l’espace. «Nous sommes en tractation avec ces spatioports pour qu’ils nous aident à acquérir ces avions, que nous opérerions chez eux, le tout nous permettant de financer l’entier du projet.» Selon Pascal Jaussi, cette affaire devrait se conclure en novembre.
A terme, S3 va commercialiser le lancement d’autres microsatellites. «Nous venons de signer notre premier contrat, dit Grégoire Lorétan, responsable de la communication de S3. L’annonce doit être faite sous peu. Cela aide bien sûr nos finances.»
Le lancement de CleanSpace One à bord des engins de S3 devrait survenir en 2018. Le premier éboueur de l’espace pourra alors se mettre au travail. Encore que: sa cible risque d’avoir déjà disparu d’ici là. Lundi, les réseaux d’observation des déchets spatiaux ont indiqué qu’un débris pourrait passer à 75 m de SwissCube. «Mais vu les marges d’erreur, une collision n’est pas du tout exclue, disait Volker Gass mardi. On saura [ce] mercredi matin vers 6ā€hā€30 si SwissCube y a échappé.» Et sinon, peu importe; le ménage à faire sur orbite étant immense, les scientifiques mettront probablement dans le viseur de leur camion-poubelle de l’espace TIsat-1, nanosatellite développé par la Haute Ecole de la Suisse italienne, et lancé lui en 2010.