La «sûreté et la sécurité spatiale» étaient pour la première fois au menu du Conseil au niveau ministériel de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui s’est achevé ce 28 novembre à Séville. Avec notamment au centre la question de l’élimination des débris spatiaux. Et la Suisse se place en pôle position dans ce domaine: c’est la spin-off ClearSpace, basée à l’EPFL, qui assure la direction de la mission ADRIOS dans ce but, a appris Heidi.news.
Pourquoi c’est important. Les bribes de vieux satellites en orbites, ou de lanceurs spatiaux, constituent une menace de plus en plus importante pour les infrastructures spatiales (Station spatiale internationale, satellites de navigation et de télécommunication). Les désorbiter devient une nécessité. La Suisse n’en est pas à son premier projet de «nettoyeur de l’espace»; elle a donc des cartes importantes à jouer.
Les chiffres. Depuis le Spoutnik russe en 1957, quelque 5000 lancements de satellites ont eu lieu, plaçant en orbite quelque 6000 engin, dont seulement un faible pourcentage est encore en service. Et quelque 240 explosions ont déjà eu lieu en orbite. Tout cela sans compter divers objets de tous types, des morceaux entiers d’engins spatiaux ou de panneaux solaires abandonnés, jusqu’aux éclats de peinture ou déchets de carburants. Au final, un spectre très large de déchets qui tournent autour de la Terre.
Ainsi tourneraient en orbite terrestre environ 30’000 objets de plus de 10 cm de diamètre, les plus pernicieux, qui sont catalogués et suivis de près. Et environ 760’000 dont la taille varie entre 1 et 10 cm. Sans même parler des quelque 160 millions de miettes de l’ordre du millimètre, qui peuvent facilement rendre hors d’usage un instrument ou un système de vol sur un satellite.
Le contexte. La «sureté et la sécurité spatiale» a donc été ajoutée aux autres piliers de l’ESA que sont l’exploration (humaine et robotisée), les missions scientifiques, les applications spatiales (GPS, télécoms) ou l’accès autonome à l’espace (lanceurs spatiaux). Ce domaine sera soutenu à hauteur de 541 millions d’euros durant les trois à cinq prochaines années, au lieu des quelque 900 millions demandés. Mais Jan Wörner, directeur général de l’ESA, souligne:
«Nous avons osé être clair, et ne pas cacher ces investissements dans un nouveau domaine sous d’autres postes de budget. Oui, il y a moins d’argent que souhaité. Mais nous pourrons lancer tous les programmes prévus.»
Notamment:
- Hera: une mission devant permettre d’étudier les possibilités d’infléchir la trajectoire d’un astéroïde venant à menacer la Terre. Mission dans laquelle la Suisse est impliquée.
- La mission d’étude des rayonnements solaires potentiellement délétères pour ces mêmes infrastructures n’a pas été annulée (comme cela aurait pu être le cas en présence de budgets trop limités), mais simplement repoussée.
- Et surtout, des missions de désorbitage des débris spatiaux issus du lancement de satellites, de fusées, et de tous les objets qui se trouvent déjà en orbite, qui constituent autant de menaces pour les infrastructures s’y trouvant (ISS, satellites de navigation ou de télécommunication, etc.)
C’est dans ce dernier secteur que s’insère la mission ADRIOS, validée durant ce Conseil ministériel.
De quoi s’agit-il? Cette mission a pour but le retrait actif de débris spatiaux. Le leader du consortium d’industries sélectionné par l’ESA est donc une entreprise suisse, ClearSpace. Cette spin-off a été constituée en 2017 à l’EPFL par Luc Piguet, Catherine Johnson et Muriel Richard. Cette dernière a été la cheville ouvrière du projet-«étudiants» SwissCube, un nanosatellite suisse gros comme une boîte à chaussures et lancé en 2009 à bord d’une fusée indienne. Muriel Noca a ensuite eu l’idée du projet CleanSpace One, pensé pour aller désorbiter SwissCube une fois que celui-ci cesserait son activité – car il fonctionne encore.
La technologie développée pour CleanSpace One – une sorte de filet tentaculaire destiné à attraper le débris – devrait être implémentée lors de la mission ADRIOS, avec quelques modifications dont Luc Piguet ne veut pas encore parler. Le tout avec pour cible un débris d’une centaine de kilogrammes issu d’un engin de l’ESA. Le lancement pourrait être prévu pour 2025, selon nos informations.
Volker Gass, directeur du Swiss Space Center connaît bien le projet:
«Clear Space avait déjà fait une offre à l’ESA pour développer cette technologie, avant que l’Agence ne place cette spin-off à la tête du consortium et que ce projet soit donc validé par les Ministres européens de l’espace. C’est un très beau projet qui met en valeur les capacités suisses dans ce domaine.»
Luc Piguet, interrogé par Heidi.news, précise:
«Nous avons répondu à un appel d’offre de l’ESA, en compétition avec douze autres consortiums. Au final, nous avons été choisis avec pour concurrents Airbus, Thales et Avio, soit trois poids lourds du spatial européen. Il est très rare que l’ESA choisisse une entreprise vieille de seulement deux ans, sans track record. Ce qui nous réjouit d’autant plus.»
Le directeur de Clear Space ne veut toutefois pour l’heure pas dévoiler le budget de cette mission, ni ses industries partenaires, «qui dépendront des contributions financières nationales.»
L’avis de Renato Krpoun. Le directeur du Swiss Space Office exprime sa joie à Heidi.news:
«Le choix de ClearSpace par l’ESA montre que l’agence peut aussi faire confiance aux petites structures, et miser sur des approches plus agiles, bénéficiant de plus de liberté, et potentiellement plus rapides dans la réalisation. ClearSpace ne part pas de rien: elle est issue de l’EPFL, où des travaux de fond sur la capture de débris spatiaux sont menés depuis très longtemps. Elle a proposé des idées très compétitives. C’est un grand défi. Je me réjouis que cela ait mené au succès, mais aussi que, dans ce projet, la Suisse ait bénéficié du soutien de six autres pays membres de l’ESA, qui agit pour contrer le problème des débris spatiaux.»
L’avis de Jan Wörner, directeur général de l’ESA. Interrogé par Heidi.news, il dit:
«Chacun des 22 Etats membres de l’ESA a apporté des connaissances spécifiques à hauteur de ses capacités. Celle de la Suisse dans le domaine de la dépollution de l’espace sont très bonnes. Je suis très heureux d’avoir en la Suisse, et en la société ClearSpace à la tête du consortium ADRIOS, des partenaires très solides.»
Un autre projet avec participation suisse. Les scientifiques suisses connaissent bien ce domaine d’activité du désorbitage des débris spatiaux:
- Remove Debris: il s’agit d’une mission de démonstration de l’ESA, constituée d’un corps principal équipé d’un petit satellite muni d’un harpon et d’un filet capable d’attraper les débris spatiaux. C’est le Centre suisse d’électronique et de microtechnique de Neuchâtel (CSEM) qui en a conçu le «système de vision» pour traquer et viser les cibles à attraper. En avril 2018, ce système a été testé avec succès sur la Station spatiale internationale (ISS). A la suite de quoi ce camion-poubelle de l’espace doit se désorbiter et ainsi se désintégrer dans l’atmosphère sans encombre.
Mais encore. Par ailleurs, indique le Secretariat d’Etat suisse à la formation, à la recherche et à l’innovation, dans le domaine de l’observation en orbite au moyen d’équipements optique et laser, la Suisse poursuit ses activités et contribue largement à l’effort global de catalogage et à la caractérisation des débris spatiaux.
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L’ESA commande à une start-up de l’EPFL le premier «camion poubelle» de l’espace
HEIDI.NEWS [9.12.2019] L’Agence spatiale européenne (ESA) annonce officiellement ce lundi 9 décembre les détails de la mission spatiale ClearSpace-1, dirigée par la spin-off ClearSpace basée à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, comme l’a révélé Heidi.news. L’objectif: envoyer un robot dans l’espace pour désorbiter un débris spatial sur lequel l’Agence donne également plus d’informations.
Pourquoi c’est important. Les débris spatiaux, issus d’étages de fusées lors de lancements ou de satellites désaffectés, constituent un problème de plus en plus énorme, tant ils menacent les infrastructures en orbite (satellites de télécommunication, Station spatiale internationale, etc.). Pouvoir extraire ces objets des orbites basses est un enjeu primordial. A l’EPFL, et notamment au Swiss Space Center qui y est basé, a été développée une expertise qui se voit récompensée aujourd’hui par l’attribution de cette mission.
Le problème. «Le problème des débris spatiaux est plus que jamais d’actualité. Aujourd’hui nous avons environ 2000 satellites actifs en orbite et plus de 3000 en panne», explique Luc Piguet, directeur de ClearSpace, cité par l’ESA. Selon lui, «c’est le bon moment pour une telle mission.» Et l’ingénieur d’ajouter:
«Durant les années à venir, le nombre de satellites va décupler du fait des multiples méga-constellations composées de centaines voire de milliers de satellites prévues en orbite terrestre basse et destinées à assurer une large couverture de services de surveillance et de télécommunications à faible temps de latence. Il y a clairement besoin d’une ‘dépanneuse’ pour retirer les satellites en panne de cette région très fréquentée.»
Luisa Innocenti, qui dirige l’initiative CleanSpace de l’ESA:
«Même si tous les lancements spatiaux prenaient fin demain, les projections montrent que le nombre global de débris continuerait d’augmenter puisque les collisions entre objets créent de nouveaux débris par effet de cascade. Nous devons développer des technologies permettant d’éviter de créer de nouveaux débris et d’enlever les débris qui sont déjà là-haut »
«Des études menées par la NASA et l’ESA montrent que la seule manière de stabiliser l’environnement orbital, c’est de retirer activement les gros débris. Nous allons donc continuer de développer les technologies essentielles de guidage, de navigation, et de contrôle ainsi que les méthodes de rendez-vous et de capture dans le cadre d’un nouveau projet qui s’intitule ADRIOS (pour Active Debris Removal/ In-Orbit Servicing). Les résultats seront appliqués à ClearSpace-1. Cette nouvelle mission, exécutée par une équipe de projet de l’ESA, nous permettra de démontrer ces technologies, et de réaliser dans le même temps une première mondiale.»
Les détails de la mission. Le robot spatial de la mission ClearSpace-1, dont la start-up suisse ClearSpace a donc pris la direction du consortium industriel mis en place pour la construire, aura pour objectif de capturer l’étage supérieur Vespa (VEga Secondary Payload Adapter) laissé sur une orbite d’environ 800 par 660 km d’altitude après le second vol du lanceur Vega de l’ESA en 2013, indique l’Agence spatiale.
Avec une masse de 100 kg, le Vespa a approximativement la taille d’un petit satellite tandis que sa forme relativement simple et sa construction robuste en font un premier objectif adapté pour cette mission de démonstration.
Le «chasseur» ClearSpace-1 sera inséré sur une orbite inférieure, à 500 km, afin d’être mis en service et de subir des tests critiques avant de rejoindre l’orbite cible pour le rendez-vous et la capture au moyen de quatre bras robotiques, sous la supervision de l’ESA. L’ensemble chasseur-Vespa sera ensuite désorbité afin de brûler dans l’atmosphère.
Ultérieurement, si ClearSpace-1 est un succès, d’autres objets plus grands et représentant un plus grand défi seront ciblés, voire capturés en même temps.
Le contexte. Comme l’expliquait Heidi.news, il y a 10 jours, la «sureté et la sécurité spatiale» a donc été ajoutée aux autres piliers de l’ESA que sont l’exploration (humaine et robotisée), les missions scientifiques, les applications spatiales (GPS, télécoms) ou l’accès autonome à l’espace (lanceurs spatiaux). Ce domaine sera soutenu à hauteur de 541 millions d’euros durant les trois à cinq prochaines années, au lieu des quelque 900 millions demandés. Mais Jan Wörner, directeur général de l’ESA, souligne:
«Nous avons osé être clairs, et ne pas cacher ces investissements dans un nouveau domaine sous d’autres postes de budget. Oui, il y a moins d’argent que souhaité. Mais nous pourrons lancer tous les programmes prévus.»
L’avis de Renato Krpoun. Le directeur du Swiss Space Office exprimait sa joie à Heidi.news il y a quelques jours:
«Le choix de ClearSpace par l’ESA montre que l’agence peut aussi faire confiance aux petites structures, et miser sur des approches plus agiles, bénéficiant de plus de liberté, et potentiellement plus rapides dans la réalisation. ClearSpace ne part pas de rien: elle est issue de l’EPFL, où des travaux de fond sur la capture de débris spatiaux sont menés depuis très longtemps. Elle a proposé des idées très compétitives. C’est un grand défi. Je me réjouis que cela ait mené au succès, mais aussi que, dans ce projet, la Suisse ait bénéficié du soutien de six autres pays membres de l’ESA, qui agit pour contrer le problème des débris spatiaux.»