Première mission spatiale entièrement conçue en Suisse, CHEOPS va rejoindre l’espace ce mardi 17 décembre. L’engin ne devra pas trouver de nouvelles planètes hors de notre système solaire, mais caractériser certaines de celles qui sont déjà connues. Une tâche déterminante pour mettre les astronomes sur la bonne piste de la découverte d’une possible vie extraterrestre.
Pourquoi c’est important. Pour les scientifiques des Universités de Berne et Genève, qui ont géré ce projet pour le compte de l’Agence spatiale européenne (ESA) – le premier de cette dernière consacré aux exoplanètes–, c’est l’aboutissement de presque sept ans d’efforts tendus. De quoi faire briller la Suisse dans la galaxie des pays pouvant se targuer de mener des missions spatiales d’envergure. Décollage mardi matin à 9:54 (heure suisse) à bord d’une fusée russe Soyouz depuis la base de Kourou (Guyane), où Heidi.news a été invité par l’ESA pour couvrir l’événement.
Quelle méthode sera utilisée. CHEOPS n’est pas une «machine à découvertes» (comme l’ont été ses prédécesseurs américain Kepler ou européen CoRoT ), mais un instrument dit «de suivi», qui aura pour tâche d’ausculter en détails environ 500 des 4143 exoplanètes connues à ce jour et orbitant autour d’un soleil autre que le nôtre. Il utilisera la «méthode des transits»: lorsque, vu depuis l’orbite terrestre, l’exoplanète lointaine passe devant son étoile, elle occulte un peu de sa lumière. Une baisse de luminosité qui peut être étudiée très finement grâce à l’œil extrêmement précis du télescope spatial, et qui permet alors de calculer la taille de la planète.
Les missions. Des planètes que ciblera CHEOPS – dans une catégorie d’astres allant de la Terre à Neptune – , on connaît déjà la masse, déterminée avec la méthode (dit des «vitesses radiales») avec laquelle ces planètes ont été découvertes. La mission principale de CHEOPS est donc simple, explique Didier Queloz, astronome des Universités de Genève et Cambridge, père du projet CHEOPS, et lauréat du Prix Nobel de physique 2019, dans l’avion vers Kourou:
« En connaissant la masse et la taille très précise d’une exoplanète, on peut déterminer sa densité, et par là sa structure, sa composition géophysique. Voit-on une planète de roche, de gaz, d’eau, ou riche en glace? CHEOPS nous le dira.»
Et CHEOPS pourra aller beaucoup plus loin:
- Le satellite pourra déterminer si l’astre observé possède une atmosphère, et si celle-ci est dense ou non. De quoi mieux comprendre la formation des exoplanètes.
- Dans certains cas, l’engin pourra aussi discriminer la lumière réfléchie par la surface de l’exoplanète (comme on voit la réflexion de la lumière du Soleil sur la surface de la Lune). De quoi, là, renseigner sur les processus de transfert de chaleur dans le corps céleste. Ou encore sur la présence de nuages dans son atmosphère, voire sur la composition de ces derniers.
- La précision des mesures de CHEOPS sera même telle qu’elle pourrait détecter les lunes qui tournerait autour des exoplanètes ciblées, des compagnons planétaires plus petits ayant passé inaperçus jusque-là, des anneaux qui l’entoureraient (comme Saturne), voire des astéroïdes qui l’accompagneraient durant le transit. En 2018, le télescope spatial Hubble a indiqué la forte probabilité d’existence d’une telle exolune, mais la preuve reste à apporter.
Willy Benz, scientifique principal de la mission et professeur à d’astrophysique à l’Université de Berne:
«En fait, l’une des missions fondamentales de CHEOPS sera de préparer le terrain pour les deux grandes missions à venir: le James Webb Space Telescope en 2021 et l’European Extremely Large Telescope (E-ELT), terrestre celui-là. Ces deux géants auront pour tâche d’examiner en détails notamment les atmosphères des exoplanètes, et plus particulièrement de chercher la signature du méthane ou de l’eau, deux importants éléments dans notre quête de vie. CHEOPS aidera à déterminer les meilleures cibles pour ces deux super-structures de recherches, ce qui permettra d’économiser un temps faramineux.»
Toutes les données captées par CHEOPS (environ 12 Gigabytes par jour) seront envoyées à l’Observatoire de l’Université de Genève, où un centre a été prévu pour les recueillir et les analyser.
De quoi a l’air le satellite. D’une «machine à laver» diront les plus caustiques. Lourd de 280kg, cet instrument de 1.5 m de côté est équipé d’un télescope doté d’un miroir de 32 cm de diamètre. Le capteur photographique CCD est carré, de 1000 pixels de côté.
Au final, rien d’ébouriffant? «Avec CHEOPS, l’objectif n’est pas de prendre de belles images, mais bien de collecter la lumière comme sources d’informations», précise Willy Benz, à la tête d’un consortium international d’institutions de onze pays européens ayant participé à sa construction.
Le constructeur principal est Airbus Defence & Space, en Espagne, mais plusieurs éléments ont été faits en Suisse, comme la structure porteuse ultra-stable du système optique du télescope, désignée par la société Almatech (située sur le campus de l’EPFL), et fabriquée en fibres de carbone par la firme argovienne Connova. Les tests environnementaux et de vibrations ont été menés chez RUAG Space, à Zurich. Tandis que le montage s’est effectué à l’Observatoire de Genève dans une «salle blanche», autrement dit un espace quasi totalement exempt de poussières. Willy Benz :
«Des grains de poussières aux environs du miroir du télescope pourraient diffuser et diffracter la lumière suffisamment pour perturber complètement les mesures.»
Le projet total aura coûté 105 millions d’euros, 50 étant assurés par l’ESA, 30 par la Suisse, et le reste par les partenariats avec les 10 autres pays et les industries.
Où il sera placé en orbite. CHEOPS naviguera a 700 km au-dessus de nos têtes, en faisant le tour de la Terre en 100 minutes sur une orbite héliosynchrone. Autrement dit, une orbite qui permettra au télescope d’avoir toujours le «dos tourné» au Soleil, afin de n’être jamais perturbé par sa lumière, mais d’avoir toujours une luminosité d’observation constante, certaines mesures pouvant durant plusieurs jours. Sur la surface exposée au Soleil: des panneaux photovoltaïques qui fourniront l’énergie nécessaire (60 W seulement).
La mission doit en principe durer trois ans et demi. Mais si les instruments optiques et l’électronique n’auront pas trop souffert des rayons cosmiques, ce qui conduirait à une perte de précision de l’appareil, elle pourrait être prolongée à 5 ans. Willy Benz:
«Ce qui est sûr, c’est que CHEOPS ne finira pas comme déchet spatial, car le satellite sera désorbité en fin de vie.»
L’importance pour la Suisse. Willy Benz:
«CHEOPS est la première mission de l’ESA réellement dédiée aux exoplanètes. Que la Suisse en ait le leadership est important! Par ailleurs, nous sommes une des rares missions qui a respecté tant l’échéancier (environ quatre ans) que le budget. De quoi montrer que la Suisse est totalement capable de mener sans écueil majeur un projet d’une telle envergure.»
Renato Krpoun, responsable du Swiss Space Office (SSO) :
« La Suisse a prouvé qu’elle a toute la légitimité pour prendre la responsabilité d’une telle mission. Elle a aussi permis à l’ESA de démontrer que mener un tel projet finalement très complexe dans un temps aussi court était faisable. Par ailleurs, ce projet a été très fédérateur en Suisse-même, alors que jusque-là, nos institutions et industries n’avaient surtout des positions de ‘fournisseur’. CHEOPS donne un visage à presque l’entier du spatial suisse, et aux centaines de personnes qui travaillent dans ce domaine. Malheureusement, cet état de fait est encore mal connu chez nous. A nous d’utiliser ce projet pour mieux communiquer cette richesse, et oser se lancer dans davantage de missions pionnières ! »
L’historique du projet. C’est l’astronome de l’Observatoire de Genève Didier Queloz, tout récemment honoré par le Nobel de Physique, qui a eu l’idée de ce projet en 2007: «Nous skiions avec mon collègue Andrew Cameron, de l’Université écossaise de Saint-Andrews quand nous en avons parlé », se souvient-il exactement. Entrent rapidement dans le jeu Willy Benz ainsi que ses collègues de l’Observatoire de Genève, dont Stéphane Udry, futur directeur. Le projet imaginé est d’abord uniquement suisse, et doit être l’emblème du Pôle de recherches national PRN PlanetS à créer. Puis, ils répondent en 2012 à l’appel à projets de l’ESA pour des missions dites de « classe S » (small), devant être réalisables rapidement et pour un budget maximal de 150 millions d’euros. Et les Suisses de remporter la mise en 2014, parmi 26 propositions de missions.
Daniel Neuenschwander, alors chef du SSO et aujourd’hui chef des transports spatiaux à l’ESA, disait alors :
«Ce projet rassembleur est en totale adéquation avec la politique spatiale suisse, car il contribue à nous confirmer dans une niche scientifique où nous sommes déjà très compétitifs.»
Il est vrai que les astronomes genevois ne partaient pas de rien: après que Didier Queloz et Michel Mayor eurent mis au jour la première exoplanète en 1995 – ce qui leur a valu le Nobel cette année –, l’équipe genevoise a développé plusieurs instruments de détection d’exoplanètes, dont le plus complexe est ESPRESSO, un spectrographe installé sur les télescopes VLT au Chili. Tandis qu’à l’Université de Berne, sous l’égide de Willy Benz, on s’est spécialisé notamment dans les questions de théorisation et de modélisation de la formation des exoplanètes. Les deux hautes écoles sont aujourd’hui regroupées au sein de PlanetS.
La suite. Pour l’ESA, c’est donc le premier projet spécifiquement dédié aux exoplanètes, depuis leur découverte en 1995… Günther Hasinger, responsables des missions scientifiques à l’ESA justifie:
«Il a d’abord fallu que ce nouveau domaine de recherche soit pleinement reconnu. Puis que la communauté se forme. Enfin, il faut savoir qu’il faut normalement une dizaine d’années pour concrétiser une grosse mission. Mais nous avons aussi déjà lancé l’avenir.»
Deux autres missions de l’ESA sont en effet prévues dans les années à venir:
Plato
(PLAnetary Transits and Oscillations) aura pour but de traquer les exoplanètes rocheuses dans la zone habitable autour d’étoiles semblables à notre Soleil. Lancement prévu en 2024, pour un coût de quelque 900 millions de francs. Les Universités de Berne et Genève sont à nouveau très impliquées, pour la construction de la structure respectivement la collecte des données.Ariel
(Atmospheric Remote-sensing Infrared Exoplanet Large-survey) devra analyser de manière très précise l’atmosphère d’un millier d’exoplanètes. Lancement prévu en 2028.
—————————-
Les six casse-têtes de la construction du premier télescope spatial suisse, CHEOPS
C’est mardi matin depuis Kourou, en Guyane française, que devait être lancé le premier télescope spatial entièrement suisse, CHEOPS. Sa tâche sera d’étudier de façon plus précise les exoplanètes déjà connues. Sa conception n’a pas été simple, et plusieurs défis se sont posés tout au long du chemin suivi par les astronomes des Universités de Berne et de Genève, à la tête du consortium international qui a construit l’engin, sous l’égide de l’ESA. Passage en revue du télescope avec Willy Benz, scientifique principal du projet.
Pourquoi c’est intéressant. Ne fabrique pas un satellite spatial qui veut, comme il veut! Les exigences technologiques pour pouvoir accéder à une place sur un lanceur (ici le Soyouz russe), et donc à l’espace, sont très élevées. Et nécessitent le plus souvent de complexes développements sur mesure. Un domaine dans lequel la Suisse excelle.
1. Une robustesse à toute épreuve
Les scientifiques et ingénieurs n’avaient que quatre ans à disposition pour ce projet. «C’est très peu…», dit Willy Benz, professeur d’astrophysique à l’Université de Berne, qui dit avoir eu à prendre certaines décisions à la hâte. Par exemple?
«Nous ne savions pas sur quelle fusée CHEOPS serait lancée, si bien que nous avons dû concevoir un instrument susceptible de satisfaire à tous les cas de figure, notamment en terme de vibrations lors du lancement, différentes sur chaque lanceur. En a donc résulté un satellite très robuste. L’étape de design aurait beaucoup plus simple si nous avions connaissance dès le départ du lanceur. Cette pratique a d’ailleurs changé depuis».
2. Seule la porte du télescope est mécanique
Le télescope installé sur CHEOPS devait demeurer absolument propre et hermétique jusqu’à son utilisation dans l’espace. Pour le protéger a donc été installée une porte sur son orifice. Or ce clapet est le seul élément mécanique de tout le satellite. Willy Benz:
«Mon pire cauchemar serait que cette porte couvrant le télescope spatial ne s’ouvre pas.»
Comment le mécanisme va-t-il fonctionner ?
«La porte est installée sur un ressort, et maintenue fermée par un fil, posé sur un boulon. L’idée est de chauffer ce boulon avec un courant électrique, ce qui va faire fondre le fil, et relâcher la porte. Et pour que celle-ci ne revienne pas en arrière par rebond après son ouverture, un crochet doit l’attraper une fois arrivée contre la paroi du satellite. On a testé cette opération une multitude de fois…»
3. Le miroir est simplement collé
Le miroir de 32 cm qui va recueillir la lumière des étoiles et de leurs compagnons planétaires est directement collé sur la structure du satellite. «Or nous avons eu bien des soucis avec cette colle », dit Willy Benz; il faut savoir que les colles doivent être très spéciales pour résister d’une part aux vibrations importantes lors du lancement, et d’autre part aux conditions extrêmement contraignantes régnant dans l’espace, notamment en termes de différences de température. Mais là aussi, les ingénieurs ont finalement trouvé la solution.
4. Une lampe spéciale pour tester le télescope
CHEOPS pourra mesurer des quantités de lumière infimes. De l’ordre de 20 parties par millions, comme disent les scientifiques. Si bien que, pour tester, calibrer et valider, sur Terre, l’efficacité optique du télescope, il n’existait aucune lampe assez stable, dont la stabilité devait d’ailleurs être dix fois supérieure à celle exigée par le satellite lui-même. «Nous avons alors dû en construire une, qui est devenu la source de lumière la plus stable au monde, dit Willy Benz.
Contrairement à d’autres procédés qui stabilisent la lumière à sa source, explique l’Université de Genève dans un communiqué, le système développé à Genève modifie directement l’intensité du faisceau lumineux. C’est en activant un «doigt mobile», qui va plus ou moins occulter le faisceau lumineux, que l’intensité, et et in fine la stabilité de la lumière sont modulées. François Wildi, ingénieur au Département d’astronomie de l’Université de Genève et membre du Pôle de recherches national PlanetS:
«Nous avons présenté notre instrument aux responsables américains de la mission TESS, un satellite de recherche d’exoplanètes américain lancé en avril 2018, et ils se sont montrés enthousiastes, au point de en nous commander un exemplaire»
5. Une technologie spéciale pour reproduire les dessins d’enfants
Dans une volonté de faire connaître le projet CHEOPS au grand public, ses initiateurs ont lancé en 2015 un concours de dessin pour enfants. La récompense? Que les meilleurs dessins s’envolent avec le satellite vers l’espace. Plus de 8000 jeunes ont participé!
Les scientifiques en ont sélectionné 2700, et les ont fait graver en format fortement réduit sur des plaques en titane, par la Haute école spécialisée de Burgdorf. Or celle-ci, pour respecter autant que possible les différents tons de couleurs des dessins d’enfants, a dû développer une technologie de gradation du contraste lors de la gravure par laser, en travaillant pixel après pixel. Optiquement, les plaques, bleues à l’origine, voyaient leur couleur plus ou moins fortement modifiée par le laser, point après point. Au final, un total de 57’699’477 pixels ont été générés, et le laser utilisé pendant plus de 40 heures. Les plaques ont ensuite été fixées sur le satellite.
6. Un financement difficile à trouver
Les petites missions de ce type, dite de «classe-S» de l’ESA, ont pour but d’être rapidement exécutables, pour un coût inférieur à 150 millions d’euros, avec une participation de l’Europe pour un tiers. «C’est une proposition d’un grand intérêt pour le pays qui prend le lead pour de telles missions, comme cela a été le cas pour la Suisse sur CHEOPS qui, elle, a mis 30 millions au pot commun », explique Willy Benz. Mais trouver les financements complémentaires n’a pas été une sinécure. La raison?
«Pour les partenaires d’un tel consortium, il peut être moins intéressant de mettre sur ces petites missions une contribution financière (à moins d’avoir le lead, justement) plutôt que de garder cet argent et le placer sur des missions plus grandes et importantes».
Finalement, le budget de 105 millions d’euros a non seulement été couvert, mais il a en plus été respecté, «ce dont nous sommes fiers», conclut Willy Benz.