Il y avait bien un pilote dans cet avion-là. Mais à part mettre les gaz en début de piste, il n’a rien fait, sinon regarder, tout au plus. Et l’avion a décollé entièrement seul. Cette scène s’est passée le 18 décembre 2019 à Toulouse, à bord d’un Airbus A350, qui s’est donc élevé dans les airs en monde entièrement automatique. Une première!
Pourquoi c’est déterminant. Cet exploit illustre l’importance aujourd’hui déterminante des systèmes d’automatisation dans les avions. Or ce n’est là qu’un des domaines du secteur de l’aviation où l’intelligence artificielle (IA) et surtout le machine learning jouent un rôle primordial. Petit survol non exhaustif, à l’occasion d’une session des AMLD2020.
«Cerveaux d’avion» de plus en plus perfectionnés
Inutile de souligner ici que le fonctionnement des avions de ligne, en 2020, repose essentiellement sur des systèmes informatiques embarqués de décision automatique, voire de renforcement par apprentissage, qui permettent à l’ordinateur de bord, sur la base notamment de données historiques dont il aura été nourri, d’adapter en directe le comportement de l’avion en fonction des instructions, du cap, de la météo, etc.
Sergei Bobrovskyi, data scientist chez Airbus:
«L’autonomie complète des avions, comme dans le cas testé que vous citez [ci-dessus], est certes un projet à long terme d’Airbus. Mais nous utilisons aussi beaucoup l’IA pour résoudre des questions à plus court terme, comme la détection d’anomalies durant le vol.»
«Pour que les technologies autonomes améliorent les opérations aériennes et les performances globales des avions, les pilotes resteront au cœur des opérations, a en effet rassuré Airbus suite au décollage du 18 décembre dans un communiqué publié le 16 janvier 2020. Les technologies autonomes sont primordiales pour soutenir les pilotes, leur permettant de se concentrer moins sur le fonctionnement des avions et davantage sur la prise de décision stratégique et la gestion de mission».
De nouveaux tests, d’atterrissage automatique cette fois (!), devraient avoir lieu cette année.
Fixation du prix des billets
Ce n’est plus un secret pour personne: deux sièges voisins, dans le même avion, peuvent avoir des prix sensiblement différents. C’est que les compagnies aériennes adaptent sans cesse leurs tarifs à la demande, pour optimiser leurs revenus.
Ravi Kumar, senior scientist chez PROS, une entreprise américaine qui livre des solutions basées sur l’IA pour l’économie digitale:
«Cette démarche n’est pas nouvelle en soit. Mais aujourd’hui, ce processus repose en très grande partie sur des systèmes de machine learning extrêmement pointus, alimentés par des quantités de données de plus en plus gigantesques. Jusqu’à la météo à destination d’un vol à une date donnée, par exemple.»
Pour l’expert, tout repose au final – comme disent les mathématiciens – sur la détermination d’une «fonction de probabilité» qu’une personne qui veut acheter un billet d’avion (à travers Internet surtout) finisse par l’acquérir à un prix plutôt qu’un autre. Un prix qui peut d’ailleurs inclure ou non certains services supplémentaires: bagage supplémentaire, repas, accès au wifi, fil d’attente rapide, etc. – de quoi compliquer encore les formules probabilistes… Ravi Kumar :
«Désormais, avec la puissance croissante des outils informatiques et de machine learning, il est par exemple possible, pour les compagnies aériennes, de savoir en temps réel quel est le prix que proposent leurs concurrentes pour le même trajet. Toutes ces informations sont intégrées dans le calcul immédiat du prix proposé.»
Les compagnies aériennes vont bien sûr plus loin. Le groupe Lufthansa développe des algorithmes de machine learning qui scannent le web à la recherche d’informations pertinentes pour elles. Par exemple, la tenue d’événements dans les villes qu’elles desservent.
Tabea Hasler, senior project coordinator revenue management chez Swiss, a ainsi expliqué comment les robots informatiques que développe son groupe peuvent passer au crible des millions de pages internet pour répertorier les manifestations à travers le monde. Tabea Hasler
«Il y a là un énorme potentiel pour introduire ces données dans nos modèles prévisionnels de demandes de tarifs.»
La chercheuse a ainsi présenté un test effectué sur trois mois, avec des premiers résultats très prometteurs, mais aussi encore quelques décalages entre les prévisions et la réalité. «Une partie de l’astuce consiste à donner à ces informations que l’on inclut dans nos modèles (ici des événements plus ou moins importants) un juste poids», détaille George Brova, l’un des responsables de Migacore Technologies, une start-up fondée pour aider les grandes compagnies aériennes à tirer profit de l’intelligence artificielle dans leurs modèles prévisionnels.
Par contre, des phénomènes ponctuels, comme l’épidémie virale qui ravage la Chine actuellement, ou les gigantesques incendies en Australie il y a quelques semaines, «ne sont pas pris en compte dans les modèles, car considérés comme des effets passifs», dit Ravi Kumar.
Face à un tel expert, impossible de ne pas lui demander ses conseils pour acheter un billet d’avion au meilleur prix:
- Réserver le plus tôt possible est toujours profitable, surtout pour les longs vols.
- Le jour du voyage est important; le lundi matin ou le vendredi, par exemple, sont des moments très courus par les hommes d’affaire, ce qui peut faire monter les prix.
- Pour les vols aller-retour, inclure une nuit du samedi au dimanche peut être utile, car les réservations qui ne le font pas correspondent souvent, à nouveau, à des séjours professionnels; or l’on sait que ces voyages d’hommes d’affaires sont pris en charge par les entreprises, qui peuvent payer plus, alors que les long séjours incluant un week-end représentent la plupart du temps à des voyages touristiques privés, pour lesquels ceux qui les font veulent payer le moins possible.
- Inclure une étape peut réduire le prix final entre deux villes, car l’un des vols concernés peut être déserté au point de rendre l’ensemble du trajet vraiment moins cher.
Gestion du trafic aérien et sécurité
Observer une carte où se déplacent, en direct (comme celle ci-dessus, ici sur internet), les avions actuellement en l’air est fascinant. Présents aux AMLD2020, des collaborateurs de Eurocontrol, l’organisation européenne pour la sécurité de la navigation aérienne, ont détaillé par le menu mathématique comment ils utilisent des algorithmes de machine learning pour optimiser les trajets, minimiser les temps d’attente (en l’air et au sol), et cela en fonction d’une myriade de paramètres, notamment liés aux contraintes de survol du sol. Cela dit, il reste que les incidents de contact en vol entre deux avions sont extrêmement rares, les contrôleurs gardant la main sur les opérations de guidage, et pouvant jusqu’à ne pas tenir compte d’une prévision informatique douteuse.
Pour Nikunj Oza, responsable du groupe de science des données au Ames Research Center de la Nasa, cela ne veut pas dire qu’il faille se satisfaire de cette situation:
«Il se peut que, dans ce réseau dense mais certes très sûr, des avions volent trop, trop proches l’un de l’autre, ou se trompent de piste. Nous travaillons à établir des algorithmes qui, tout en excluant les trajectoires normales, pointent de manière très précoce celles qui sont anormales et pourraient conduire à des catastrophes.»
A l’Ecole nationale française de l’aviation civile (ENAC) à Toulouse, le groupe de Daniel Delahaye oeuvre dans le même domaine, mais en s’intéressant aux phases d’atterrissage:
«Lorsqu’un avion en approche vole trop haut, ou trop vite (à cause de forts vents arrières par exemple), on dit qu’il est en «surénergie». Au mieux, il peut mettre les gaz au tout dernier moment pour refaire un tour de piste. Au pire, cela peut conduire au crash, comme cela s’est passé en 2009 à Amsterdam avec un vol de Turkish Airlines.»
Selon l’expert, et même s’il n’y a vraiment pas beaucoup d’accident de ce genre, le pilote et le contrôleur, face à ce genre de situation, n’avaient jusque-là pour base de réaction et de décision que des critères géométriques (altitude, distance, etc.).
«Nous utilisons du machine learning pour procéder à des classifications de trajectoires en temps réel, basées cette fois sur l’énergie cinétique de l’avion», déterminée à l’aide de systèmes d’observation en bord de piste.
Dans les situations anormales, une alarme peut avertir largement assez tôt le contrôleur et le pilote, leur laissant le temps de réagir. Selon l’expert, «ce système est encore au stade de la recherche, mais il a été éprouvé et validé sur des cas réels, et intéresse déjà le bureau Veritas, qui assure des audits de sûreté dans l’aviation, et qui souhaite un faire un outil utilisable. Il suffit pour cela de l’habiller d’une interface homme-machine, à développer.»
Utilisation et maintenance optimale des avions
Chaque compagnie aérienne a pour intérêt économique d’utiliser sa flotte aussi efficacement que possible, en minimisant les périodes où les avions ne sont pas exploités, et en organisant au mieux les nécessaires immobilisations pour contrôles et réparations.
Chrysanthi Tsimitri, Flight Safety Data Science chez Swiss, qui a co-organisé la session:
«Si certaines pièces doivent être réparées ou changées, ne serait-ce que pendant quelques heures, cela peut faire une immense quant à l’utilisation des avions. Et certains recoins des avions n’étant que peu accessibles pour nos ingénieurs, nous utilisons des senseurs pour monitorer ce qui s’y passe. De plus, extraire des données utiles des très longs textes de régulations concernant ces mêmes parties peut être chronophage. Tout cela fait énormément d’informations à gérer pour des ingénieurs qui doivent collaborer. Afin d’optimiser l’utilisation de tous nos avions, nous recourrons donc à des algorithmes de machine learning comme aide à la décision pour la maintenance prédictive.»