L’Europe spatiale va décider de son avenir ces 27 et 28 novembre à Séville, où se réuniront les ministres de l’espace de ses Etats membres. Un budget total de 13,7 milliards de francs leur sera proposé lors de ce Conseil, baptisé Space19+. Outre les lanceurs et les applications du spatial, les ambitions lunaires européennes, aux côtés des Etats-Unis, devraient être discutées.
Pourquoi c’est important. Cette réunion a lieu tous les trois ans ; la précédente s’est tenue à Lucerne en 2016, et avait débouché sur un programme soutenu à hauteur de 11,2 milliards. L’objectif de cette rencontre sera donc d’afficher les priorités. La Suisse, qui sera représentée par la Secrétaire d’Etat à la recherche Martina Hirayama, peut bien se positionner, comme le rappelait encore le 22 novembre le Vaudois Daniel Neuenschwander, chef du transport spatial à l’ESA, dans un entretien accordé à Heidi.news.
De quoi on va parler. En 2015, Jan Wörner, directeur de l’Agence spatiale européenne (ESA), était l’un des premiers à lancer clairement l’idée d’aller sur la Lune et d’y construire un Moon village, qu’il faut davantage comprendre comme une synergie des programmes de plusieurs agences spatiales que comme un vrai hameau d’habitacles lunaires. Depuis, l’idée a fait son chemin, la Nasa, surtout, reprenant le flambeau, tandis que d’autres nations, la Chine et l’Inde en tête, ont aussi exprimé leurs visées lunaires; la première a posé il y a quelques mois un robot sur la face cachée de la Lune.
Plusieurs initiatives lunaires européennes seront donc mises sur la table d’un financement possible à Séville, à hauteur d’environ deux milliards de francs:
- L’ESA s’est engagée à fournir deux modules de service permettant d’assurer la propulsion de la capsule américaine Orion, dans le cadre du programme Artemis qui ambitionne de faire revenir des humains sur la Lune. Plusieurs centaines de millions doivent être débloqués pour achever ce projet, les deux systèmes devant être prêts à voler dès 2024.
- Les Etats-Unis ont présenté leur projet de Lunar Gateway (Portail lunaire), sorte de station spatiale placée — vers 2024 — sur une orbite particulière, appelée cis-lunaire, autour de l’astre, devant servir de point d’étape pour les missions humaines vers la Lune et de poste de commande pour les robots lunaires. L’ESA souhaite y participer, mais doit encore déterminer selon quelles modalités et à travers quelles contributions: par exemple module d’habitation, systèmes de communication avec la surface lunaire…
- Dans l’optique du Moon Village, l’ESA réfléchit à construire un module d’acheminement du matériel permettant aux astronautes d’œuvrer sur la surface lunaire. Détaillant cette idée à la BBC, David Parker, chef des programmes d’exploration humaine et robotique :
«Nous voulons envoyer des cargos sur la Lune, pour y apporter de la nourriture, des robots, tout ce qu’il faut pour prétendre à une exploration durable de la surface. Et ce véhicule pourrait aussi faire de la science en ramenant des échantillons lunaires au Lunar Gateway», avant un retour possible vers la Terre.
- L’ESA a aussi clairement affiché son désir de voir un premier astronaute européen fouler le sol lunaire lors des prochaines missions habitées. Mais les détails concrets sont évidemment encore en discussion avec les autres agences spatiales. Selon David Parker, une sélection de nouveaux astronautes devrait avoir lieu dans ce but.
Quoi d’autre. Les plans européens d’exploration humaine et robotisée de l’espace ne s’arrêtent pourtant pas là, plusieurs programmes nécessitant un complément de financement, alors que de nouveaux programmes pourraient encore être décidés:
- Participer au développement la mission américaine Mars Sample Return d’aller chercher et ramener sur Terre des échantillons de sol martien.
- Continuer à financer le projet LISA, destiné à être lancé dans les années 2030 et qui devra étudier les ondes gravitationnelles.
- Concrétiser le projet ATHENA, un télescope destinés à étudier les rayons X dans l’espace.
- Moderniser Columbus, le laboratoire scientifique installé sur la Station spatiale internationale (ISS), dont le prolongement de la durée de vie est actuellement discuté.
Ce n’est pas tout. Les ministres européens de l’espace devront aussi attribuer les budgets de fonctionnement et de développement à d’autres domaines-clé :
- Le transport spatial, avec l’achèvement du développement des programmes Ariane 6 et Vega-C, lanceurs devant succéder respectivement à Ariane 5 et Vega pour permettre à l’Europe spatiale de rester compétitive —contre la société SpaceX notamment. Le 22 novembre, Daniel Neuenschwander, chef des transports spatiaux à l’ESA, plaidait d’ailleurs pour que soit déjà financée la phase ultérieure, à savoir un développement d’un nouvel étage de fusée intermédiaire, avec moteur réallumable, permettant de placer des satellites sur différentes orbites. Quelque 2,2 milliards de francs sont demandés dans ce seul domaine.
- Le domaine des services et des applications — qui comporte notamment le système de navigation par GPS Galileo, ou le système d’observation de la Terre Copernicus.
- Pour la première fois, un nouveau domaine inclura les questions de sûreté et de sécurité spatiale. Se prémunir contre les éruptions solaires qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur les systèmes de télécommunication — par exemple en envoyant un satellite à un endroit particulier, le point de Lagrange 5, pour étudier le Soleil —, tenter de dévier un astéroïde menaçant — à travers la mission Hera —, ou encore évacuer les débris spatiaux, sont autant de questions au programme. Pour un montant total évalué à 650 millions de francs. Cette même mission Hera avait déjà été proposée il y a trois ans à Lucerne; elle n’y avait pas été retenue.
Le problème. Tous ces programmes sont évidemment extrêmement coûteux, notamment ceux concernant l’exploration martienne. Toutes les lignes de budget souhaitées ne pourront ainsi pas être validées, et des arbitrages importants devront être faits, comme celui – peut-être – de ne pas continuer à soutenir une ISS que les Américains ont d’ores et déjà prévu d’abandonner à moyen terme, peut-être en la cédant au secteur privé.