Didier Queloz, co-lauréat du prix Nobel de physique 2019. | Salvatore di Nolfi / Keystone
HEIDI.NEWS || Avec son collègue Michel Mayor de l’Université de Genève, Didier Queloz, aujourd’hui actif majoritairement à l’Université de Cambridge, a remporté le 8 octobre le Prix Nobel pour la découverte de la première planète située hors de notre système solaire. Depuis, il est assailli de sollicitations. Mais il a accordé un quart d’heure de son temps désormais précieux à Heidi.news.
Pour l’astronome suisse de 53 ans, décrocher une telle distinction porte en soi une grande part de responsabilité: celle de transmettre les valeurs de la science et de la recherche. Interview.
Comment vous sentez-vous au lendemain de l’annonce de votre Prix Nobel de physique?
Didier Queloz: Je suis débordé. C’est dément. Du jour au lendemain, en décrochant ce prix, on passe de star de son domaine d’activité à star mondiale! Subitement, le public s’intéresse à vous, à vos travaux, c’est absolument spectaculaire. J’ai reçu un gros millier d’emails depuis hier, mon fils une centaine! Du point de vue émotionnel aussi, c’est massif, car on ne peut pas aller plus haut en science. Désormais, toutes mes paroles, voire mes gestes, intéressent absolument tout le monde, et plus uniquement mon petit cercle d’intéressés habituel. On me pose à peu près tout et n’importe quoi comme question.
Y répondez-vous?
Si le sujet concerne l’éducation, la science, la recherche, je m’y astreins. Car cela fait partie des tâches du chercheur. Si cela touche à la politique – on m’a demandé à maintes reprises mon avis sur le Brexit –, c’est plus délicat. A nouveau, s’il y a un lien avec mon domaine d’activité général, le monde scientifique, je réponds. Mais sinon, je garde mon avis personnel pour moi.
Justement, avec le Brexit, l’impact sur le système de recherches anglais, qui est essentiellement le vôtre aujourd’hui, ne serait pas négligeable… Peut-on établir des comparaisons avec la position de la Suisse, qui rediscute elle aussi ses collaborations avec l’UE?
En Grande-Bretagne, la position des instances scientifiques est très claire: le Brexit – on le sait déjà – aura de très mauvaises conséquences sur la science britannique. Pour l’instant, la Grande-Bretagne est encore dans l’UE mais veut en sortir. Dans le cas de la Suisse, je considère que la situation est différente, car notre pays souligne clairement que maintenir d’excellentes relations bilatérales avec l’UE est essentiel; il s’agit «seulement» de trouver la bonne manière d’y donner suite. Je ne suis donc pas sûr qu’il y ait autant de similarités qu’on veuille bien le dire.
Vous êtes encore affilié à deux universités, celles de Cambridge et de Genève. Qui revendique le plus votre prix Nobel?
J’ai beaucoup aimé les mots de félicitation du Conseiller fédéral Guy Parmelin qui a fait comprendre, en quelque sorte, à quel point je suis issu du système de recherche suisse. C’est vrai, je n’ai rien fait de particulier, à part suivre toutes mes classes dans notre pays. En ce sens, oui, le système scientifique suisse génère des prix Nobel! Cela dit, quiconque connaît la science sait à quel point elle est internationale. Les scientifiques se déplacent, c’est normal et bien. Donc que Cambridge revendique aussi une part de la paternité du prix ne me dérange pas du tout.
En quoi ce prix Nobel va-t-il aider ce domaine déjà en pleine expansion qu’est la traque et la caractérisation des exoplanètes?
Le bénéfice sera multiple:
Et pour vous-mêmes, quels sont les bénéfices?
Vous savez, j’ai des limites physiques, celles de mon temps et de mon corps. Je ne vais pas forcément en faire plus, mais je vais devoir le faire différemment. Je sais par exemple que je vais devoir modifier mes plans, mes ambitions, mes programmes de recherche pour donner suite à certaines sollicitations qui vont inévitablement survenir. Mais je considère que c’est normal, car c’est à la base notre responsabilité de scientifiques, bien sûr qui plus est nobélisé. Une petite différence me caractérise toutefois: à 53 ans, j’ai le privilège d’être encore jeune. Je vais donc devoir tenir ce rôle important pendant longtemps, au moins trois décennie j’espère.
Quel regard portez-vous sur le phénomène de starification qu’induisent ces Prix Nobel?
C’est très intéressant, mais très frais pour moi; j’ai besoin de digérer ce nouveau statut. Entre hier soir et ce matin, j’ai reçu au moins dix invitations pour donner des leçons inaugurales [des exposés considérés comme parmi les plus importants dans le monde académiques, ndlr.]. C’est presque ridicule, même si je comprend cet intérêt, car je ne pourrai pas physiquement le faire, tant cela demande du temps de préparation, de l’énergie. Sans même dire que nombre de mes collègues sont aussi qualifiés que moi pour le faire. Mais la science a aussi besoin de personnalisation, de célébrité, comme le monde du sport, par exemple. Je vais peut-être vous surprendre, mais référez-vous à l’«Iliade» et l’«Odyssée»! Ces deux vastes ouvrages mettent en scène des milliers de personnes, des soldats d’armées qui s’opposent. Mais en réalité, seuls quatre personnages sont réellement mis en avant. C’est humain: personne n’arrive à imaginer ou suivre les péripéties de grands groupes en entier. Donc l’astuce consiste à personnifier. De même, quand on veut résumer un pan de la science, il est plus facile de s’identifier à des prix Nobel. A nous, leurs récipiendaires, d’accepter cela. Si cela peut aider à valoriser la science, c’est positif.
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