Ebola, Marburg ou Lassa n’ont qu’à bien se tenir. Car ces virus souvent mortels ne seront plus les bienvenus en Suisse. Ils y seront traqués, même. Le vendredi 25 juin sera inauguré à Spiez un complexe du plus haut degré de sécurité biologique (P4), le premier du genre dans notre pays.
«Cette installation, d’un coût de 30 millions de francs, a pour intention d’assurer la souveraineté de la Suisse dans le domaine de la biosécurité», justifie Andreas Bucher, porte-parole du Laboratoire de Spiez, rattaché au département militaire (DDPS), et où s’activent depuis des années déjà les spécialistes des armes atomiques et chimiques. Dans le domaine biologique, ils y poursuivront trois objectifs: diagnostiquer la présence d’agents pathogènes humains les plus infectieux, former des spécialistes, et mener des recherches afin de développer des tests aussi bien pour les microbes déjà connus que pour ceux qui n’ont pas encore été identifiés. En ce sens, ce centre procédera, sous haute sécurité, à des mises en culture de ces virus, et recourra à des cobayes (rongeurs).
Pour l’heure, les laboratoires couvrant 200 m2 – deux unités P4, et deux P3, un peu moins contraignantes – sont en phase finale de construction. Il faudra quelques mois pour mener les tests de validation, avant leur entrée en fonction au début 2011. Mais Le Temps a pu les visiter avec le chef du projet, Martin Schütz, avant les journées portes ouvertes de ce week-end*.
De loin, le bâtiment de verre cache bien la complexe technicité des installations qu’il abrite. A l’intérieur, la pression y sera maintenue plus basse qu’à l’extérieur, afin qu’en cas d’incident, l’air vicié ne puisse en sortir. Très vite, la chaleur se fait sentir. «Normal, dit Martin Schütz, le système de ventilation n’est pas encore en fonction. Mais cela donne une idée du degré de confinement extrême dans lequel on se trouve…»
Pour entrer au coeur du dispositif, il faut passer par une suite de locaux en changeant autant de fois de vêtements. Un processus qui prendra trente minutes. Dans la première pièce, accessible grâce à un badge magnétique, les spécialistes se départiront de leurs habits pour enfiler des «pyjamas bleus». Après avoir passé un sas flanqué de deux portes impossibles à ouvrir simultanément, ils pénétreront dans une deuxième chambre, en ayant montré patte blanche à l’aide de leurs empreintes digitales. «C’est là que nous enfilons nos combinaisons étanches», dit Martin Schütz. Celles-ci sont en plastique très solide; la tête est couverte d’une toile transparente. «Remarquez tout de même que tous les meubles ont des arêtes et coins arrondis», pour éviter toute déchirure. «Grâce à des tuyaux pendant du plafond, que nous connecterons sur nos costumes, de l’air pur sera injecté à l’intérieur.» Plus que l’aspect «bonhomme Michelin» qui en résultera, c’est le bruit inhérent à ce dispositif qui risque d’ennuyer les chercheurs, et de limiter les séjours dans les labos à une ou deux heures, «car au-delà, la concentration n’est plus optimale».
Mais «le plus gros problème, ce sont les gants», admet Martin Schütz. Certes, les chercheurs en auront deux couches, voire trois lorsqu’ils manipuleront les animaux. «Utiliser des aiguilles ou des scalpels présente toujours un risque. Cela dit, nous savons que nous n’avons pas les combinaisons les plus optimales – pour ne pas se couper, il existe par exemple des gants en métal… –, mais ce sont les plus appropriées pour notre travail.»
Affublés d’un tel scaphandre, les chercheurs accéderont alors, en composant un code sur la porte, dans le laboratoire même, à travers un énième sas. A leur sortie, ils subiront une douche à l’acide visant à éliminer tout microbe ayant des velléités d’escapade… Et ceci jamais seuls: «C’est comme pour la plongée sous-marine, il faudra être au moins deux (et six au maximum), pour réagir en cas de pépin.» Chaque pièce sera surveillée par des caméras.
Ces mesures de sécurité n’empêcheront toutefois pas les chercheurs de rester très pragmatiques: «En cas de crise cardiaque, nous n’hésiterons pas à ouvrir la combinaison de la personne concernée pour la réanimer, dit Andreas Bucher. Car si tout se déroule sans souci dans le labo – les expériences sont menées sous des cloches en verre –, l’air y est très pur.» Les trois quarts du volume du bâtiment sont d’ailleurs occupés par les systèmes de ventilation, de purification de l’eau, de climatisation, etc. Des équipements tous redondants, faciles d’accès en cas de panne.
En cas d’urgence majeure, les scientifiques disposent aussi d’une sortie de secours. Et en cas de feu? «On ne peut utiliser de l’eau, car il faudrait ensuite la décontaminer, dit Martin Schütz. On laisserait tout brûler, le mobilier et les portes sont conçus pour résister. L’incendie durerait quelques minutes, en fonction de l’oxygène présent. Mais l’avantage, à des températures de 500 à 800°C, c’est que les agents pathogènes n’ont aucune chance de résister…»